Le rapport de Claude Revel[2], Conseillère du commerce extérieur de la France, à notre ministre du Commerce extérieur Nicole Bricq, affirme :
« L’accord UE Etats-Unis à venir sera un accord fondamental par sa portée juridique ; les enjeux en termes de régulation à venir sont énormes Le rapport de forces est favorable aux Etats-Unis ».
Ce rapport n’hésite pas à préciser que tous les secteurs sont concernés « Les industries, l’agriculture et l’agroalimentaire mais aussi de plus en plus de services, y compris traditionnellement publics en France ».
Le « traditionnellement » a le mérite d’indiquer clairement que les négociations pourraient parfaitement remettre en cause ce caractère public.
Ce rapport souligne également qu’il faut « prendre acte et tirer parti de la tendance vers la délégation de la règle au privé ». Il va même jusqu’à considérer favorablement le fait « que se développe un marché des professionnels de la norme privée ». Le message est clair : la détermination des « préférences collectives » chères à Pascal Lamy doit de plus en plus être confiée aux entreprises privées et aux professionnels de la… norme privée.
Ce rapport, enfin, attire l’attention sur le fait que cet accord devait s’imposer au reste du monde. Les simulacres de négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ne sont plus de mise : ce sont aux Etats-Unis et à l’Union européenne d’imposer leurs normes.
Pareil diktat imposé au monde générera des tensions fatales avec d’autres « blocs » économiques, très dangereux dans le cas, par exemple, d’une bipolarisation avec la Chine.
Au lieu d’un monde multipolaire, la toute puissance d’un pole, constitué sauvagement de cette façon, menacera le reste de la planète et suscitera inéluctablement les cassures et les résistances. « Le capitalisme porte la guerre en son sein comme la nuée porte l’orage ».
Le rapport de forces entre les Etats-Unis et l’Union européenne
En apparence, il s’agit actuellement deux blocs économiques, USA et UE, d’importance équivalente. La réalité est cependant bien différente, la confrontation opposerait un porte-avion et un chalutier. Les Etats-Unis sont un géant économique, politique et diplomatique, l’Union européenne est un géant économique mais un nain politique.
Les Etats-Unis ont une politique industrielle
Leur industrie est réglementée par le « Buy americain Act » pour la sidérurgie. Dans l’UE, c’est... Arcelormittal qui décide.
Les Etats-Unis n’hésitent pas à verser toutes les aides publiques nécessaires au soutien de leurs « champions industriels ». Les articles 107 à 109 du traité de Lisbonne interdisent aux Etats-Membres de l’UE de verser des aides publiques aux entreprises. La concurrence prétendue « libre et non faussée » doit s’imposer partout. Elle ne sera pas libre. Elle sera faussée.
Les marchés publics des Etats-Unis sont réservés à 25 % à leurs PME. Un accord de libre-échange avec l’UE n’engagerait que l’Etat fédéral, pas les marchés publics des 50 Etats américains. La Commission européenne, de son côté, supprime à marche forcée toute restriction d’accès aux marchés publics des Etats-membres de l’Union européenne.
Les Etats-Unis ont une politique internationale redoutablement efficace
L’UE ne peut pas en avoir car l’article 28 A du traité de Lisbonne oblige à prendre à l’Unanimité du Conseil les décisions en matière de politique internationale. D’un côté Hillary Clinton, de l’autre Catherine Ashton !
Les Etats-Unis ont une politique de change
Grâce à cette politique, la valeur du dollar par rapport à l’euro, au yen, au yuan, augmente ou diminue en fonction des intérêts des Etats-Unis. Dès 1971, le secrétaire d’Etat au Trésor, John Connolly affirmait : « Le dollar est notre monnaie et votre problème ».
La création de l’euro n’a rien changé, le dollar est toujours notre problème car la politique de change de l’euro est laissée à la BCE qui n’a qu’une seule mission : garder la valeur de l’euro. Le résultat est un euro cher (sa valeur par rapport au dollar a augmenté de 70 % entre 2002 et 2010) qui pénalise, de façon inouïe, les exportations de la zone euro.
Le nivellement par le bas assuré pour les salariés
La perspective d’aligner « les standards de vie » vers le haut n’est qu’un miroir aux alouettes.
Les salariés des Etats-Unis ont subi les effets de l’Alena, l’accord de libre-échange entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Ce ne sont pas les salaires et les conditions de vie des salariés mexicains qui ont été tirées vers le haut mais ceux des salariés des Etats-Unis et du Canada qui ont été tirés vers le bas.
Les salariés de l’Europe des 15 n’ont pas vu leurs salaires et leurs conditions de travail tirés vers le haut lorsque l’Union européenne a ouvert grand ses portes aux pays de l’Europe centrale et orientale (les PECO) sans approfondissement démocratique et social préalable. Au contraire. Combien de salariés de l’industrie, en France, ont-ils entendu répondre à leurs revendications salariales : allez donc voir en Pologne ou en Roumanie ?
L’accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’UE soumettrait les salaires et les conditions de travail des salariés européens et américains à une double pression vers le bas : celle du Mexique d’un côté, celle des PECO de l’autre.
Les seules gagnantes seraient les firmes transnationales
L’opposition entre les Etats-Unis et l’Union européenne recouvrirait deux réalités.
D’abord celle de la concurrence qui ferait rage entre les firmes transnationales dans lesquelles les capitaux états-uniens seraient majoritaires et celles dans lesquelles les capitaux allemands, français, britanniques, italiens seraient majoritaires (il n’y a pas de capital européen unifié). Certaines gagneraient plus que d’autres à un accord transatlantique.
Ensuite, le sort réservé aux salariés européens et américains. Dans tous les cas de figure, quelles que soient les firmes transnationales qui l’emporteraient dans tel ou tel secteur, l’accord se ferait sur le dos de ce salariés qui verraient leurs salaires et leurs conditions de travail nivelés par le bas.
Les précédents de l’Ami et de l’Acta
Si l’UE décidait d’engager les négociations avec les Etats-Unis un mandat de négociation en blanc serait donné à la Commission européenne qui mènerait, comme d’habitude des négociations secrètes, et soumettrait le projet d’accord, en bloc, au Parlement européen, une fois les négociations terminées.
Ce ne serait pas la première fois.
En 1997, les Etats-Unis, le Canada, l’UE et d’autres pays avaient secrètement négocié l’Ami (Accord multilatéral d’investissement).
Ce n’est que lorsque les conséquences de cet accord avaient été mises en lumière (l’« effet Dracula ») que les négociateurs avaient été obligés d’y renoncer.
Jacques Lang nous expliquait déjà que si l’Ami respectait l’ « exception culturelle », il pourrait parfaitement être accepté par la France.
En 2012, c’est l’Acta (Accord commercial anti contrefaçon) que le Parlement avait refusé de ratifier.
Pourtant les Etats-Unis et 22 Etats de l’UE (dont la France) l’avaient signé.
Cet accord sous prétexte de lutter contre les « contrefaçons » organisait la fin de la neutralité d’Internet en obligeant les fournisseurs d’accès à coopérer à une sorte d’Hadopi mondial.
Pire, cet accord considérait comme des « contrefaçons » la fabrication de médicaments génériques par des pays comme le Brésil et l’Afrique du Sud. L’Acta défendait le droit de la « propriété intellectuelle » des firmes multinationales pharmaceutiques contre le droit des peuples à se soigner.
La Commission européenne avait refusé, jusqu’à l’été 2010, de divulguer quoi que ce soit des négociations en cours. Wikileaks l’avait fait et les médias s’étaient emparés du dossier. L’Acta n’avait pas survécu à ces révélations. Là encore l’« effet Dracula » avait joué à plein.
Instruits par des échecs, le gouvernement des Etats-Unis et la Commission européenne prendront toutes les précautions pour parvenir à leurs fins.
C’est dans notre dos, dans le secret, contre les parlements, les républiques, les peuples que va se négocier à haute dose et a haut niveau, l’ensemble de ces tractations pour mieux nous « plumer ». Il n’y a rien de bon à attendre de ce processus sinon la fin d’un projet européen, déjà mis à mal quand nous sommes passés de 15 à 27 états. Passer à 77 états dans ces conditions c’est la fin de tout projet de construction d’une Union européenne politique, économique et sociale. Il faut donc suspendre immédiatement les négociations.
Gérard Filoche et Jean-Jacques Chavigné (D&S)