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Gaël Giraud : La monnaie, ce sont les banques privées qui la créent ! 1/2

Les sommes qui circulent dans la sphère financière sont hallucinantes si on les met en regard des sommes qui circulent dans l’économie réelle. Moi, ce que je me demandais, en voyant les chiffres, c’est d’où ils venaient, les sous… L’addition des sommes ponctionnées sur l’économie réelle??

J’ai lu Illusion financière, un livre publié en 2012 par Gaël Giraud… Et là, je suis tombée de haut! Les sous, ils viennent peut-être de sommes ponctionnées sur la « vraie » économie, le fruit du travail des salariés, mais ils viennent surtout des banques privées qui créent des sous tout exprès pour que les investisseurs jouent au grand casino de la finance !

Vous me direz : « On s’en fiche, alors si les sous ne viennent pas de notre spoliation et que les financiers jouent entre eux! ». Oui, sauf qu’il y a des bulles, des crises, dont on voit les répercutions dans la sphère réelle ( avec hausse du chômage et politiques d’austérité à la clef). Et puis si les banques créent des sous pour que certains jouent au casino, pourquoi n’y aurait-il pas de sous pour une transition verte nécessaire, pour créer des emplois? Qui a décidé que ce serait les banques privées qui créeraient les sous ( qui feraient tourner la planche à billets, en fait) selon leur intérêt propre, et surtout pourquoi aucun contrôle démocratique n’est-il mis en place?

Gaël Giraud est, je crois, un professeur très pédagogue sur ces questions. Bonne écoute de cette première partie ( en attendant la suivante la semaine prochaine !).

Novembre 2014 Gaël Giraud
  • La monnaie, ce sont les banques privées qui la créent 1/2
 
 

 


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 Transcription lisible sur le Net ci-dessous  ( transcription assurée par Audrey d’Aquin):

 

 

Il faut le dire…

les interviews de Pascale Fourier

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Gaël Giraud,

chercheur en économie au CNRS

auteur de «Illusion financière » éditions de l’Atelier, 2012

Interview de Novembre 2014

Thème: Monnaie !

Ce sont les banques privées qui créent la monnaie ½

Pascale Fourier : Je lis pas mal de livres et j’y vois que la sphère financière a une place infiniment plus importante que la sphère réelle, que le chiffre de l’argent qui est dans la sphère financière est incroyablement plus grand que celui qui est dans la sphère réelle. Mais je n’arrive pas à comprendre d’où sort cet argent ?

 Pourquoi beaucoup d’argent circule-t-il dans la sphère financière ?

 Gaël Giraud : Cet argent, c’est de la monnaie qui est créé par les banques centrales, et, en fait, en dernière analyse, par les banques de second rang, les les banques privées. Et cette monnaie, au lieu de venir irriguer les transactions dans l’économie réelle, migre très rapidement vers la sphère financière pour alimenter des transactions d’actifs financiers qui n’ont pas de contrepartie réelles.

Pourquoi cette migration ? Eh bien parce que les transactions financières, encore aujourd’hui, continuent de promettre des rendements qui sont incomparablement supérieurs à ceux de l’économie réelle. En fait, dans l’économie réelle aujourd’hui, vous n’avez plus de croissance dans la plupart des pays de l’OCDE, et donc du coup faire un investissement dans l’économie réelle aujourd’hui, ça veut dire en gros avoir un retour sur investissement qui sera très proche de zéro dans les années qui viennent.

En revanche, dans la sphère financière, on continue aujourd’hui à avoir des investissements qui promettent des rendements de 5, 9, 10% par an, ce que l’économie réelle ne peut absolument pas promettre. Du coup, c’est beaucoup plus attractif, c’est beaucoup plus intéressant, et ça fait que l’essentiel de la monnaie qui est créée migre très rapidement vers les sphères financières pour alimenter ce type de transactions, évidemment beaucoup plus risquées que les transactions dans l’économie réelle : les transactions financières ne peuvent promettre un rendement annuel de 10% que parce qu’ il y a une prise de risque considérable. Et donc ça rapporte 10% tant qu’on ne se plante pas…Et le jour où en fait on n’a pas de chance, ça fait perdre beaucoup d’argent…

 Pascale Fourier : Et c’est complètement déconnecté de la sphère réelle ? Ce n’est pas de l’argent qui a un moment produit quelque chose ?

Gaël Giraud : Disons qu’en gros, sur l’ensemble des transactions financières dans une journée, vous en avez quelque chose comme, en gros, 10% où vous avez une des deux contreparties qui vient de l’économie réelle. Un peu moins de 10%, en fait. Vous avez un peu moins d’une transaction sur dix qui met en relation un acteur économique qui vient de la sphère réelle et un acteur économique qui vient de la sphère financière. Le reste, non, ce sont des acteurs qui sont tous issus de la sphère financière qui font les transactions entre eux.

 Pascale Fourier : Et du coup, c’est une sorte de casino dans lequel on joue de l’argent qui rapporte…?

 Gaël Giraud : Pour 90% de ces transactions, qui ne mettent pas en jeu un acteur de l’économie réelle, on pourrait dire qu’effectivement ce sont des paris, qui concernent uniquement les acteurs de la sphère financière. On peut appeler ça un casino, si vous voulez. Ce sont des paris d’argent, entre argentiers.

 A quoi sert la finance ?

 Pascale Fourier : Mais du coup, ça n’a pas trop d’intérêt pour nous de nous intéresser à la sphère financière … ?

 Gaël Giraud : La question est de savoir quelle est l’utilité sociale de cette sphère financière. A priori, elle est supposée permettre deux choses : une allocation de l’épargne des ménages, et une allocation du risque.

 Vous êtes épargnant. Vous décidez de reporter à plus tard votre consommation et vous avez un peu de revenu. Disons que la banque qui récupère votre épargne va la placer. Et du coup, si elle accepte de prendre des risques considérables, dont la plupart du temps vous n’êtes pas informés, elle va vous promettre un rendement de votre épargne qui est très intéressant, alors que, si elle avait investi uniquement dans l’économie réelle, quand celle-ci n’a pas de croissance, l’épargne ne vous aurait évidement pas rapporté grand-chose. Ça, c’est un premier point. Mais on pourrait s’interroger sur l’utilité sociale de ce premier point puisque ces rendements exorbitants ne sont possibles qu’à la condition d’une prise de risque, que la plupart des citoyens à mon avis, ne sont pas du tout prêts à prendre en réalité.

 La deuxième utilité sociale possible de la sphère financière, c’est d’assurer la protection contre les risques. Admettons que vous êtes un chef d’entreprise. Vous faites des transactions marchandes entre la zone euro et les États-Unis. Vous avez donc besoin de vous couvrir contre le risque de change dollars/euros. Depuis l’abandon des accords de Bretton-Woods en 1971-72, ce risque de change est très fort. Et du coup, les banques proposent aux entrepreneurs, qui sont exposés à ce risque, des contrats, qui sont comme des contrats d’assurance, qui vont leur rapporter de l’argent si jamais il y a un désastre, un sinistre : par exemple une dévaluation très forte de l’euro, si je suis exposé à la baisse de l’euro – ou inversement, si pour moi la mauvaise nouvelle, c’est que le dollar se déprécie… Ça, c’est de la protection.

 La question est de savoir si c’est socialement utile au niveau systémique, à l’ensemble de la société ? Que ce soit utile à un individu particulier, là-dessus il n’y a pas de doute, à moins qu’il ne se fasse complètement rouler dans la farine… Ça arrive quelquefois, mais disons que la plupart des transactions sont tout de même des transactions sincères, c’est-à-dire que le client reçoit bien le service qu’il a rémunéré en terme de protection contre le risque. Mais ce n’est pas parce qu’un individu est satisfait du service qui lui est rendu par sa banque que ce service est socialement utile. Ce n’est pas parce qu’une banque crée un actif financier qui protège un individu contre un risque, que le risque a disparu pour autant : tout ce que fait cette banque, c’est de transférer ce risque des épaules de l’individu qui ne veut pas le porter sur celles de quelqu’un d’autre, ou de différentes autres personnes. Le risque est donc redistribué dans l’ensemble de l’économie, mais il ne disparaît pas pour autant.

 Question : est-ce que cette redistribution du risque est socialement utile ? La réponse de l’économie théorique, c’est « on n’en sait rien ». Ça dépend complètement. Il se peut que une banque fasse bien son travail et qu’elle réalloue de manière socialement utile le risque, il se peut aussi que la réallocation du risque par une banque, même si c’est profitable à un individu, au client de la banque, soit catastrophique au niveau systémique. L’exemple paradigmatique, c’est évidement la crise des subprimes où le risque de défaut des ménages pauvres américains a été redistribué à travers des objets structurés très compliqués, qu’on appelle des CDO, des mille-feuilles financiers. Le risque de crédit a été redistribué dans la planète entière, et en fait on s’est rendu compte que cette redistribution était bien pire que l’absence de transfert de risque sur les épaules de quelqu’un d’autre ! C’est un exemple où on voit que la diversification ne fait pas disparaître le risque et d’une certaine manière qu’elle l’amplifie. Dans d’autres situations, la diversification joue son rôle positif cependant.

 Ce sont les banques privées qui créent la monnaie

 Pascale Fourier : A un moment, au tout début, vous disiez que l’argent était créé par les banques centrales, et qu’en dernier ressort, finalement, c’était les banques privées qui créaient la monnaie, et qu’ensuite cet argent pouvait aller dans les transactions financières…Je n’arrive pas vraiment à comprendre ce que vous avez dit.

 Gaël Giraud : En fait, la sphère monétaire a deux étages : l’étage supérieur et le rez-de-chaussée.

 A l’étage supérieur, vous avez la banque centrale qui crée de la monnaie qu’on appelle de la « monnaie banque centrale ». L’agrégat de cette monnaie banque centrale s’appelle M0 : c’est la base monétaire. Cette monnaie, ni vous ni moi ne l’avons jamais vue. C’est la monnaie qui reste piégée, cantonnée dans ce qu’on appelle le « marché interbancaire » auquel n’ont accès que les banques. Il n’y a donc que les banquiers qui palpent la monnaie banque centrale si je puis dire. Cette « monnaie banque centrale » sert aux transactions entre les banques.

 La monnaie que vous et moi utilisons, c’est la monnaie qui se trouve au rez-de-chaussée, qui, elle, n’est pas de la monnaie banque centrale, mais qui est de la monnaie qui est essentiellement créée par des banques de second rang, des banques privées. Pourquoi? Parce qu’aujourd’hui la monnaie fiduciaire, c’est-à-dire les billets et les pièces de monnaie, émis par la banque centrale, représente une fraction très très faible de la masse monétaire que nous utilisons. L’essentiel de nos transactions monétaires dans le monde réel aujourd’hui sont des transactions qui correspondent à des écritures, des opérations d’écritures sur des écrans d’ordinateurs, et plus du tout à des transactions avec des billets et des pièces.

 L’essentiel de la monnaie qu’on utilise au rez-de- chaussée est de la monnaie qui est créée par les banques privées au moment où elles accordent un crédit. A chaque fois qu’une banque privée vous accorde un crédit pour acheter un appartement ou pour faire une transaction, elle crée dans l’instant-même où elle la met à votre disposition une bonne partie de la monnaie qu’elle prête.

 Pascale Fourier : Ce n’est pas les dépôts des autres gens ?

 Gaël Giraud : Ça, c’est le grand fantasme dont il faut absolument se débarrasser. Beaucoup de gens ont en tête, y compris des fois dans les universités, que ce sont les dépôts qui créent les crédits : ce n’est pas vrai. Ce sont les crédits qui créent les dépôts.

 La raison est simple : si c’était les dépôts qui créaient les crédits, on ne voit pas comment la quantité de monnaie en circulation pourrait augmenter. J’ai des dépôts une fois pour toutes et c’est ça qui fait les crédits… : la quantité de monnaie en circulation devrait donc être constante. Or elle ne cesse d’augmenter. Il n’y a jamais eu autant de monnaie en circulation qu’aujourd’hui ! Pourquoi ? Parce que les banques ne cessent de faire de nouveaux crédits, et, à chaque fois qu’elles font un nouveau crédit, elles créent de la nouvelle monnaie, qui vient s’ajouter à la monnaie déjà existante.

 Quand y a-t-il destruction monétaire ? Au moment où je rembourse ma dette auprès de la banque. J’ai contracté un crédit de 100. La banque crée 100, ou disons 80 sur les 100 si elle avait les 20 en dépôt sur les comptes. J’ai 100. Et puis il va falloir un jour que je lui restitue les 100. Au moment où je lui restitue les 100, plus d’ailleurs un taux d’intérêt, une partie de la monnaie qu’elle avait créée va être en partie détruite puisqu’elle va réintégrer le bilan de la banque elle-même : elle ne sera plus en circulation dans l’économie.

 Sauf que, ce qu’on observe, c’est que les processus de création monétaire sont le plus souvent beaucoup plus volumineux que les processus de destruction monétaire. En moyenne, nous sommes beaucoup plus nombreux à contracter des crédits qu’à rembourser nos dettes. Quelquefois d’ailleurs, nous contractons des crédits pour rembourser nos dettes, ce qui est particulièrement malsain. Mais, même si on ne fait pas cela ( qui s’appelle un schéma de Ponzi), nous sollicitions en moyenne le secteur bancaire pour des nouveaux crédits bien plus que nous ne remboursons nos dettes, ce qui fait que la quantité de monnaie en circulation augmente.

 Qu’est ce qui fait qu’une banque a le droit de faire cela ? Eh bien c’est tout simplement parce que c’est une banque ! Elle a une licence bancaire qui lui a été octroyée par l’Etat et cela signifie qu’en réalité l’Etat a délégué à cette banque le pouvoir régalien de frapper monnaie, qui était la spécificité du roi au Moyen-Age. Aujourd’hui, le roi qui frappe monnaie dans la zone euro, c’est les banques privées. C’est BNP Paribas, Société Générale ….

 Ce point est très important parce que beaucoup de gens dans le grand public croient que les banques sont des institutions non bancaires qui ne font que prêter de la main droite ce qu’elles ont emprunté de la main gauche.

 Les institutions non bancaires font cela : par exemple les fonds de placement, les Hedge Funds, les fonds spéculatifs, qui n’ont pas le droit de créer de la monnaie. Ce sont donc en fait les intermédiaires financiers qui transfère la monnaie de la main gauche à la main droite. Les banques peuvent bien évidement transférer la monnaie déjà existante, mais elles peuvent aussi en créer. C’est ça qui fait la spécificité d’une banque.

 Les banques peuvent-elles créer une quantité arbitraire de monnaie ?

 Je n’ai évidemment pas dit qu’une banque pouvait créer une quantité arbitraire de monnaie, parce que dès qu’on dit ça, les gens disent : « Ah bon, mais alors une banque peut créer à vau-l’eau des milliards?!Pourquoi ne créerait-elle pas de milliards pour moi, puisque je le vaux bien…. ». La réponse est non. L’activité de création monétaire d’une banque est encadrée par ce qu’on appelle le régulateur – en zone euro, le comité de Bâle, une ravissante bourgade de la Suisse. Le comité de Bâle met des règles, dont des ratios prudentiels qui donnent des conditions à la création monétaire des banques.

 Les banques ne peuvent donc pas créer une quantité arbitraire de monnaie. Il faut qu’elles obéissent à un certain nombre de ratios. Il faut qu’elles aient un minimum de fond propre dans leur bilan, un minimum de liquidités, et surtout il faut qu’elles aient en face d’elles une demande de monnaie. Par exemple, si je suis aujourd’hui banquier en zone euro, même si je suis prêt a prêter des milliards à la population, si personne ne me demande de crédit, je ne peux pas créer de monnaie !

 Et c’est un peu le drame que l’on vit aujourd’hui en zone euro, parce que, comme on est en train de glisser, lentement mais sûrement, vers la déflation, nos banques sont à la fois dans une si mauvaise situation de bilan qu’elles n’ont plus du tout envie de prêter à l’économie réelle ( parce que l’économie réelle, ça ne rapporte pas assez quand il n’y a plus de croissance), et en même temps, en face, il n’y a plus grand monde qui a envie d’emprunter aux banques. La déflation, c’est une situation extrêmement paradoxale parce que plus personne ne veut avoir de la monnaie et que donc plus personne ne veut faire de transactions ( je caricature, mais c’est un peu cela). Pourquoi ? Parce que tout le monde se dit que demain les prix vont baisser, que tout tout sera moins cher : tout le monde attend demain pour faire sa transaction, que ce soit acheter un appartement ou investir ou embaucher. Du coup, aujourd’hui, plus personne n’a envie d’emprunter à la banque.

 Je récapitule : la banque crée de la monnaie si on le lui demande et si elle obéit à un certain nombre de ratios.

 Dans ces ratios auxquelles elle est tenu de se plier, il y a un ratio de réserves obligatoires, qui lie le premier étage au rez-de-chaussée. C’est là qu’il y a un lien.

 La banque de second rang, la banque privée, peut créer de la monnaie à condition d’avoir dans son bilan un minimum de monnaie banque centrale qui se trouve au premier étage. Question : est-ce qu’elle a besoin ex ante, au moment où elle fait son prêt, d’avoir cette monnaie banque centrale avant d’accorder son prêt? Réponse : non. Ça aussi, c’est un autre fantasme qui obéit à la même logique que celle qui voudrait que ce soit les dépôts qui créent les crédits. Cela voudrait dire qu’il faudrait que la banque privée ait déjà de la monnaie banque centrale avant d’accorder un crédit en monnaie rez-de-chaussée. La réponse est non ; en fait, ça se passe dans l’autre sens.

 La banque commence par créer de la monnaie rez-de-chaussée. Par exemple admettons que je sois la banque A et que je vous prête de la monnaie pour acheter acheter un appartement. Cette monnaie, vous allez devoir la donner à quelqu’un d’autre qui va lui-même la mettre sur son propre compte en banque, la banque B. Moi, j’ai quinze jours pour apurer ma position avec cette autre banque. Pendant les quinze jours qui sépare le moment où j’accorde le crédit et le moment où il va falloir que j’apure ma position, il va y avoir beaucoup d’autres transactions et, par exemple, la banque B va elle-même créer de la monnaie pour quelqu’un d’autre qui va lui-même mettre de l’argent chez moi. Ce qui fait que si je vous ai prêté 100 et que vous avez crédité de 100 le compte de quelqu’un d’autre de la banque B, dans quinze jours, je ne devrais certainement pas mettre 100 en net dans la banque B, mais beaucoup moins. Admettons que ce soit 15. Ces 15-là, je dois les transférer dans le compte de la banque B en monnaie banque centrale, c’est-à-dire en monnaie de premier étage. Si je ne les ai pas, c’est là que je suis coincé, et c’est là qu’il faut moi-même que j’emprunte en monnaie banque centrale.

 Taux d’intérêt et…intérêt de la banque à prêter

 Comment puis-je emprunter en « monnaie banque centrale »? Soit je l’emprunte directement au guichet de la banque centrale, soit je vais l’emprunter auprès de mes petits camarades banquiers qui, eux, jouent sur le marché interbancaire où je vais l’emprunter à un taux d’intérêt qui est grosso modo le taux d’intérêt directeur de la banque centrale, fixé par la banque centrale. Aujourd’hui, ce taux est quasiment nul.

 Le jour où je vous ai accordé votre crédit de 100, je savais très bien que quinze jours plus tard il faudrait que j’apure ma position avec la banque B. Il fallait que je regarde si j’avais suffisamment de liquidités pour ne pas avoir éventuellement à emprunter de la monnaie banque centrale quinze jours plus tard. Et si je sais que probablement j’aurais quand même besoin d’emprunter à la banque centrale, il fallait que je voie si ça ne me coûterait pas trop cher. Du coup, je vous ai mis à vous un taux d’intérêt qui me garantisse que j’aurais les moyen de me payer sur la bête pour rembourser le taux d’intérêt que je vais devoir payer moi pour apurer ma position avec la banque B. Vous voyez ?

 C’est ça qui fait que le taux d’intérêt de la banque centrale pilote en quelque sorte, pour simplifier, le taux auquel moi je vais vous prêter. Mais ce n’est pas vrai du tout que de dire que j’ai besoin d’abord d’avoir de la monnaie banque centrale pour ensuite pouvoir vous prêter. Ça, ce n’est pas vrai.

 Alors où y a-t-il une contrainte ? Eh bien, c’est que j’ai besoin d’un minimum de monnaie banque centrale… et la banque centrale ne peut pas refuser de me prêter cet argent si je le lui demande, moi, comme banquier. C’est dans le mandat de la banque centrale. Je suis un banquier, je vous ai accordé 100 et, finalement, dans quinze jours, je dois emprunter 15 à la banque centrale pour les donner à la banque B. Je ne les ai pas. Je vais donc les emprunter à la banque centrale. Quel que soit le taux d’intérêt qui a été fixé par la banque centrale, elle est tenue de créer cette monnaie banque centrale pour moi. La banque centrale ne peut jamais s’opposer à une banque qui lui demande de l’argent.

 Je simplifie, parce que, en même temps, chaque fois que la banque centrale prête de la monnaie à une banque privée, d’abord il y a un taux d’intérêt ( aujourd’hui quasiment nul) et ensuite il y a aussi un collatéral, c’est-à-dire une garantie que met la banque privée de côté pour le cas où elle ne rembourserait pas elle-même sa dette vis-à-vis de la banque centrale. Aujourd’hui les exigences de qualité de collatéral sont tellement faibles qu’en gros les banques peuvent mettre n’importe quoi en garantie ( je simplifie), par exemple y compris de la dette publique grecque qui ne vaut pas grand-chose. Si la banque privée elle-même faisait défaut sur son emprunt auprès de la banque centrale, eh bien la banque centrale se payerait en dette publique grecque, c’est-à-dire en pas grand-chose.

 Le mécanisme n’est donc pas trivial, il n’est pas complètement simple, mais c’est très important d’en comprendre la logique. En fait, la banque privée met la banque centrale devant le fait accompli de devoir créer pour elle de la monnaie banque centrale de manière qu’elle puisse régler ses transactions, à cause du fait qu’elle a elle-même crée de la monnaie de second rang, de la monnaie du rez-de-chaussée, pour un particulier, pour un entrepreneur, pour des transaction financières etc. Et donc la conséquence de cette réécriture de la logique de la création monétaire, c’est que c’est bien les banques de second rang qui pilotent la création monétaire et pas la banque centrale en réalité.

 La banque centrale peut juste mettre un peu d’huile dans les rouages quand elle baisse le taux d’intérêt, ou, au contraire, essayer de freiner le processus de création monétaire quand elle augmente le taux d’intérêt. Évidemment, elle aurait beaucoup d’autres outils à sa disposition. Par exemple, elle pourrait jouer sur le taux de réserve monnaie banque centrale obligatoire. CA, c’est ce que fait la banque centrale de Chine, à Pékin. De temps en temps, quand elle voit que les banques créent trop de monnaie, elle augmente le ratio des réserves obligatoire. CA, ça freine considérablement l’octroi de crédit. Elle a donc plusieurs outils à sa disposition. En Europe, pour l’instant en tous cas, la BCE à renoncé à ses autres outils : elle n’utilise que le taux d’intérêt, et encore, le taux d’intérêt aujourd’hui est devenu inefficace puisque il est quasiment à zéro. Il est au plancher, et elle ne peut pas le descendre plus bas. Le taux de réserve obligatoire en zone euro aujourd’hui est de 1%. Il était de 2% encore jusqu’à la fin de l’année 2011, il est passé à 1 %. Autant dire qu’il est très très faible…

 Pascale Fourier :  Et voilà, c’était le premier volet de mon entretien avec Gaël Giraud, auteur de Illusion financière publié aux éditions de l’Atelier.

 Les sous, maintenant, j’avais compris d’où ils venaient : des banques privées qui les créent selon un intérêt qui leur est propre. Soit, me direz-vous, et alors, quel est l’intérêt de savoir cela dans la gestion de notre destin collectif ? Eh bien, c’est ce que nous verrons dans la deuxième partie de cet entretien avec Gaël Giraud.

 A bientôt !

 

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Commentaires

  • Mille mercis Pascale et Audrey pour ce travail salutaire !

    J'attends le deuxième épisode avec impatience !

    Bises à vous

    Luc

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