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Sapir : l'UE, un système de contraintes qui vise à dépolitiser les choix économiques.

C'est l'intervention de Jacques Sapir au colloque organisé le 11 Juin dernier sur le thème: "Que faire de l'Union Européenne?".

Gérard m'a envoyé le son... et Audrey m'a transcrit ce qui est dit... La petite chaîne de solidarité impulsée par Des Sous continue de vivre....

Voilà donc le son :


podcast

et le texte ( en lecture ci-dessous et en PDF en téléchargement là )

 

Jacques Sapir

 

Intervention au colloque organisé par le M'pep

11 Juin 2011- « Que faire de l'Union Européenne).

 

 

Je vais quand même tenter de répondre à cette question à travers cinq interrogations ou plutôt cinq commentaires.

 Que faire de l'Union Européenne ?

 La première chose qu'il faut dire de ce point de vue-là, c'est que l'Union Européenne n'est pas l'Europe. Elle n'est pas l'Europe tout d'abord en termes géographiques, elle n'est pas l'Europe ensuite dans le sens que le processus de réconciliation franco-allemand n'est pas interne à l'Union Européenne, il s'est déroulé avant. L'Union Européenne n'est pas la garantie de la paix en Europe. Et donc on voit bien ici que l'Union Européenne et l'Europe sont en fait deux entités distinctes.

C'est important de le rappeler, à un moment où, chez un certain nombre de gens, vous avez une préoccupation qui est en train de monter qui est la crainte de voir la crise actuelle, comme la crise de 1929, aboutir à nouveau à des tensions internationales, voire à des guerres. Et c'est vrai que cette crainte n'est pas entièrement dénuée de fondements. Il faut donc de ce point de vue-là regarder très finement la question et se demander : « Est-ce que l'Union Européenne est réellement un instrument qui permettrait de coordonner les intérêts des pays qui en sont membres ? ». Et là-dessus en particulier sur la question de l'Allemagne et de ses partenaires, on voit bien qu'il n'est pas possible de régler un certain nombre de problèmes dans le cadre de l'Union Européenne.

 Ce qui m'amène immédiatement au deuxième point. L'Union Européenne est une construction institutionnelle qui, depuis le traité de Maastricht, a avancé dans deux directions : la direction tu libéralisme évidemment, mais aussi la direction de la bureaucratie. Et ceci est d'une certaine manière la conséquence du processus d'élargissement qui a été voulu pour tenir compte effectivement des changements géostratégiques qui survenaient sur le continent. Ce processus d'élargissement a voulu faire entrer dans un cadre unique des pays qui, certes, aspiraient à faire partie d'une communauté culturelle et politique, mais qui n'étaient pas préparés, et qui n'avaient pas les moyens de se préparer à faire partie d'une communauté économique. D'ailleurs, pour les pays de l'Est, le chemin le plus court vers l'Union Européenne s'est appelé l'OTAN. On a d'abord adhéré à l'OTAN avant d'adhérer à l'Union Européenne. Et l'on voit bien que le résultat de ce processus d'élargissement, c'est le fait que d'une part la bureaucratie bruxelloise n'a cessé de se développer, en particulier d'ailleurs à travers des programmes dit « de soutien » aux Peco et à l'ex-Union Soviétique, mais aussi en direction du libéralisme. Et là il faut bien comprendre que, quand vous êtes sous la nécessité de prendre des mesures qui doivent être adoptées à l'unanimité, la solution libérale apparaît comme techniquement la plus simple et la plus facile. Il y a là une espèce de malédiction du libéralisme comme la solution la plus aisée, le fameux point focal dans une négociation (ça a été décrit au début des années 60 par Schelling) et, d'une certaine manière, on va dans cette direction parce qu'on ne trouve pas, parce qu'on n'a pas les moyens d'aller vers d'autres directions.

 Troisième point, l'Union Européenne apparaît de plus en plus comme un système de contraintes et un système de contraintes qui visent à dépolitiser des choix économiques. Ce que j'entends par « dépolitiser », ça veut dire retirer à l'action politique ses choix économiques. Or les choix économiques qui sont soumis à cette dépolitisation, c'est sur trois terrains extrêmement importants:

  • le terrain de la concurrence: on sait tout le travail qui a était fait par les directives européennes en matière de concurrence et on en voit le résultat aujourd'hui,

  • le domaine de la finance: il faut quand même rappeler que nous avons abouti à cette aberration d'avoir une zone monétaire au sein de l'Europe alors qu'il n'y avait aucune règle commune sur la banque de détail. Autrement dit, on a unifié la monnaie, mais on n'a pas donné des règles communes aux systèmes bancaires, ce qui évidemment a conduit les systèmes bancaires de ces différents pays à avoir des stratégie extrêmement divergentes en matière d'endettement;

  • enfin évidement le domaine social : de plus en plus, les décisions sont retirées de l'espace de la démocratie pour être attribuées à des experts, à ce niveau de « l'expertisme », qui aujourd'hui peut qualifier un petit peu cette dérive de l'expertise.

 

Ce qui m'amène à mon quatrième point. Ce processus révèle une conception de la démocratie qui est purement formelle et qui est en réalité antagonique avec toute conception réaliste et substantielle de la démocratie. La conception de la démocratie qui est vivante au sein des institutions européennes, c'est la confusion de la légalité et de la légitimité. C'est l'idée que, quand un texte a été adopté dans des formes légales, il est nécessairement légitime. Or il n'en est rien. De fait, c'est la légitimité qui précède la légalité, mais admettre cela voudrait dire admettre le recours à la souveraineté populaire, ce qui est impossible dans le cadre de l'Union Européenne et ce qui a été très bien expliqué dans un arrêt de la Cour constitutionnelle allemande, le tribunal constitutionnel de Karlsruhe, qui a, dans un de ses arrêts, expliqué qu'il n'y avait pas de peuple européen, donc qu'il n'y avait pas de démocratie européenne et qu'en conséquence de quoi la démocratie ne trouvait sa naissance que dans les États-nations. Il faut quand même se rappeler de ce texte qui dit une chose extrêmement importante.

 Cinquième point. Que faire de l'Union Européenne ? D'une Union Européenne dont on sent bien qu'elle est aujourd'hui un problème, qu'elle est notre problème, mais dont on sent bien aussi que les modes de sa défaisance peuvent être extrêmement différents.

De ce point de vue-là, je suis d'avis qu'il faut aujourd'hui en venir à des solutions unilatérales dans le cadre de l'Union Européenne. C'est ce que l'on appelle dans le jargon des spécialistes « opting-in opting-out ». Autrement dit, nous devons- et le faire de manière unilatérale- dire quels sont les règlements et les réglementations européennes que nous acceptons et quelles sont celles que nous refusons.

 Il est clair que ceci introduira une crise grave dans l'Union Européenne. Il est possible que cette crise aboutisse à la dissolution de l'Union Européenne. Mais procéder de cette manière-là laisse ouvert le champ possible d'accords négociés avec certains pays pour réaliser justement cet « opting-in » et cet « opting-out » de concert et ne renvoie pas immédiatement à l'indifférenciation européenne, ou à l'inverse à l'hétérogénéité de chaque pays.

 Le risque, c'est vrai, c'est que, ayant fini par détruire l'Union Européenne, nous nous retrouvions sans rien. Et de ce point de vue-là, je pense qu'il faut avoir une certaine prudence, mais d'un autre côté il ne faut pas que cette prudence paralyse l'action et paralyse l'action en particulier dans le cadre national. Autrement dit, je dirais qu'il faut tirer l'Union Européenne dans notre sens à partir d'actions unilatérales. Si elle doit casser dans ce processus, eh bien elle casera ! Et nous ne devons pas, d'une certaine manière, nous arrêter à ce point. Mais il ne faut pas d'emblée nous attaquer au cadre de l'Union Européenne et dire « nous voulons sortir de l'Union Européenne ».D'autant plus, et je terminerais là-dessus, qu'il n'existe pas de mécanisme juridique pour exclure un pays ou de l'Union Européenne ou de la zone euro. Autrement dit ,et là je terminerai par une réflexion par rapport à ce qu'a dit Frédéric Lordon, si un pays de la zone-euro se décide à reprendre le contrôle de sa banque centrale et à monétiser une partie de sa dette en euro, les autres pays ne peuvent pas l'exclure de la zone-euro. Ça poserait un sérieux problème diplomatique, j'en suis bien conscient, ça poserait un énorme problème à la zone-euro, mais ça permettrait aussi que se développe tout un débat, et dans ce débat que l'on puisse retrouver des positions qui soient des positions communes avec certains pays.

 Donc voilà la stratégie à laquelle je pense actuellement, mais il faut aussi avoir une stratégie plus large et qui vise à engager un débat directement avec des pays d'Europe qui ne sont pas des membres de l'Union Européenne.

 

 

Commentaires

  • Bonjour Pascale, je relaye l'appel intéressant du M'PEP qui me semble, mais tu le confirmeras ou non, aller dans le sens des idées défendues sur ton blog.

    Amicalement



    Signez l’Appel des 1 000 : Un référendum pour sortir le traité de Lisbonne de la Constitution française
    Si la gauche était majoritaire, le M’PEP appelle à l’organisation d’un référendum pour sortir le Traité de Lisbonne de la Constitution, afin de restaurer la souveraineté populaire et de pouvoir enfin mener de véritables politiques de gauche. Ce référendum devrait intervenir immédiatement après l’élection d’une majorité de gauche. La question posée aux Français serait : « Souhaitez-vous réviser la Constitution française pour en ôter le titre XV (‘‘De l’Union européenne’’) ? ».

    APPEL DES 1 000 : UN RÉFÉRENDUM POUR SORTIR LE TRAITÉ DE LISBONNE DE LA CONSTITUTION FRANÇAISE
    Par le Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP).
    Le 4 octobre 2011.

    Ce sont près de 1 000 citoyens qui viennent de lancer un « Appel à référendum pour sortir le traité de Lisbonne de la Constitution française ».
    Pour voir les premiers signataires http://www.m-pep.org/spip.php?article2406

    SORTONS LE TRAITÉ DE LISBONNE DE LA CONSTITUTION FRANÇAISE
    Signez l’Appel à référendum lancé par le M’PEP !

    Le 29 mai 2005, lors d’un référendum, le peuple français rejetait à 54,68% le projet de traité constitutionnel européen. Ce traité visait à graver dans le marbre du droit européen la doctrine néolibérale : priorité absolue à la « concurrence libre et non faussée » ; libéralisation des services publics pour les privatiser ; libéralisation du commerce international pour faire du libre-échange un système de mise en concurrence entre les nations, les systèmes sociaux, les peuples et les travailleurs ; libéralisation du « marché » du travail pour organiser la précarité et la soumission du salariat ; libéralisation des marchés financiers pour placer les finances publiques sous la domination de la finance ; monnaie unique placée sous le contrôle d’une Banque centrale européenne « indépendante », retirée des prérogatives de la puissance publique.
    Le 4 février 2008, le Congrès réuni à Versailles (députés et sénateurs) votait à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés une révision de la Constitution française, grâce à la plupart des parlementaires socialistes et verts qui ont soutenu la droite. Le titre XV de la Constitution était modifié et stipulait, notamment : « La République […] participe à l’Union européenne dans les conditions prévues par le traité de Lisbonne… ».

    Voir le texte du titre XV de la Constitution sur le site de l'Assemblée Nationale, http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/constitution.asp#titre_15

    Ce traité avait été signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 entre les vingt-sept États membres de l’Union européenne et entrait en vigueur le 1er décembre 2009. Le traité de Lisbonne a modifié les deux traités fondamentaux de l’Union européenne : le traité instituant la Communauté européenne (traité de Rome, 1957, qui est rebaptisé traité sur le fonctionnement de l’Union européenne), et le traité sur l’Union européenne (traité de Maastricht, 1992).
    En réalité, le traité de Lisbonne n’est qu’un résumé du projet de traité constitutionnel européen. Toutes les tares qui avaient été dénoncées au moment du référendum de 2005 se retrouvent dans le traité de Lisbonne. Dans ces conditions, ce traité interdit toute politique de gauche. En effet, un gouvernement de gauche qui voudrait s’opposer, par exemple, à des directives européennes de libéralisation en pratiquant la désobéissance européenne, ne le pourrait pas. La droite saisirait immédiatement le Conseil constitutionnel au motif que refuser d’appliquer une directive européenne n’est pas conforme à la Constitution puisque celle-ci, désormais, a intégré le traité de Lisbonne. Il ne fait aucun doute que le Conseil constitutionnel annulerait de telles décisions prises par une majorité de gauche.
    Pour mener des politiques de gauche, il faut donc sortir de l’Union européenne ou pratiquer ce que le M’PEP nomme la « désobéissance européenne » en ôtant de la Constitution française toute référence au droit européen en général et au traité de Lisbonne en particulier.
    C’est la raison pour laquelle, si la gauche était majoritaire, le M’PEP appelle à l’organisation d’un référendum pour sortir le Traité de Lisbonne de la Constitution, afin de restaurer la souveraineté populaire et de pouvoir enfin mener de véritables politiques de gauche. Ce référendum devrait intervenir immédiatement après l’élection d’une majorité de gauche. La question posée aux Français serait : « Souhaitez-vous réviser la Constitution française pour en ôter le titre XV (‘‘De l’Union européenne’’) ? ».

    Pour aller sur le site du M'PEP signer l'Appel à référendum http://www.m-pep.org/spip.php?article2407#outil_sommaire_2

  • Cet article (que j'avoue de pas avoir lu totalement en détail) met en exergue deux caractéristiques apparemment contradictoires de l'Union européenne que sont la "buraucratie" et le "libéralisme", je dirais d'ailleurs plutôt "libre-échangisme".
    Cette contradiction apparente se retrouve aussi dans la gestion de la crise puisque l'on cherche à mettre en place des solutions "keynésiennes" ("plans de relance" aussi coûteux qu'inefficaces, rachat d'obligations "souveraines", perspective de "planche à billet") tout en préservant une optique résolument "austère" (préservation d'un "euro fort", plans d'austérité présentés comme "contrepartie" aux "plans de relance").
    Cette contradiction aboutira à une autre contradiction, économique celle-là : une inflation déclenchée peu après la "planche à billets" (théoriquement interdite mais seule solution pour préserver le "système") et une déflation/récession liée à l'anomie d'une "économie réelle", incapable de rapatrier son potentiel de production (et ne cherchant à préserver que son potentiel de "consommation")

  • Contradictoire en effet la "Bureaucratie Européenne" et le "Libre Échangisme". Ainsi que les solutions adoptées : Re-financer les banques et austérité pour les peuples...
    Contradictoire et a priori illogique, sauf si on se dit qu'on est peut être pas en crise, ou que le mot "crise" est un prétexte... Par contre tout cela prends du sens si on remplace le mot "crise" par le terme "Lutte des classes". Tout devient alors logique et limpide : la "Bureaucratie" et le "libre échange", la bonne santé des multinationales et des milliardaires et l'austérité pour tous les autres !.....

    Pas "Crise" donc, mais "Lutte des classes" !

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