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Frédéric Lordon au colloque du M'pep, 11 Juin 2011: son et transcription

Il y a quelques temps, j'avais fait un billet pour vous signaler de superbes interventions de Sapir, Gréau, Lordon, Nikonoff, Todd à un colloque organisé par le M"pep le 11 juin dernier autour de cette question : "Que faire de l'Union Européenne". Et puis à la toute fin, j'avais demandé si quelqu'un savait extraire le son d'une video, et un lecteur de ce blog savait le faire! Grâce lui soit rendue ( mais j'ai égaré dans ma boîte de messagerie son message de sorte que je ne peux pas le remercier directement.... Qu'il veuille bien m'en excuser !!). Et puis Audrey, ma transcriptrice de Des sous qui s'ennuie depuis que je ne lui fournis plus un travail abondant a fait spontanément la transcription, ainsi que celle de tous les autres intervenants...

Et voilà le travail :


podcast

et transcription en version PDF

et en lecture ci-dessous:

Frédéric Lordon

Intervention au colloque du M'pep : « Que faire de l'Union Européenne » - 11 Juin 2011

Eh bien à la question que faire de l'Union Européenne, je serais assez tenté de répondre synthétiquement : la laisser aller à son dernier fracas comme elle s'y prépare et voir ce qu'il en sort. Parce que lorsqu'on parle de l' Union Européenne ces temps-ci, ce n'est plus une chronique de crise qu'il s'agit de tenir mais plutôt un précis de décomposition.

 

 

Le plus caractéristique et sans doute le plus impressionnant tient au fait que les institutions de l'Euro-zone sont littéralement à feu et à sang. Les conflits internes y ont atteint une intensité telle qu'ils ne prennent même plus la peine de se dissimuler et on en est arrivé au point où la Banque Centrale Européenne s'est engagée dans un chantage absolument inouï, en menaçant de ne plus accepter les titres grecs en collatéral et d'interrompre les supports de liquidités au secteur privé bancaire grec, ce qui est une déclaration de guerre ouverte proprement invraisemblable, qui dit bien par son irrationalité les extrémités qui ont été atteintes puisque la Banque Centrale Européenne avertit que si elle n'obtient pas satisfaction elle accomplira elle-même est délibérément la chose-même qu'elle essaie d'éviter dans son rapport de forces avec les gouvernements, à savoir effondrer le système bancaire grec et plus largement le système bancaire européen. Donc on est là à un niveau d'aberrations qui signale le dernier degré de la décomposition institutionnelle.

 

Pour tout arranger, le FMI a décidé lui aussi d'apporter sa petite contribution au foutoir général et menace de ne pas débloquer sa tranche de crédit au plan grec 1.0 si l'Union Européenne n'a pas préalablement arrangé un plan de sauvetage 2.0.

 

Du côté des États-membres également, c'est la plus grande confusion. Et spécialement en Allemagne, la chose est à remarquer, qui s'est fracturée entre une Allemagne tendance Banque Centrale qui ne veut entendre parler de restructuration des dettes sous aucun prétexte, et une Allemagne contribuable qui l'exige absolument.

 

Au milieu de cet imbroglio, on peut avoir confiance que l'urgence immédiate d'un deuxième plan d'aide à la Grèce sera surmonté fin juin. Gagner du temps, c'est encore une des dernières choses que les institutions de l'euro-zone sachent faire.

 

Restent cependant les questions liées à une possible restructuration de la dette grecque et de ses effets. Le fait est que, s' il y a défaut sur la dette grecque, le choc direct sur le système bancaire privé du pays va être rude; fin 2010, les banques grecques détenaient à peu près 56 milliards d'euros des titres souverains de leur propre pays, et sur les autres systèmes bancaires également ça secourra un petit peu.

 

Mais surtout à ce moment-là, il faudrait entrer dans une topologie fine du risque systémique, c'est-à-dire dans une espèce de cartographie du treillis des relations bancaires croisées et des ses nœuds, pour voir si, parmi les banques écroulables, il ne s'en trouverait pas une par hasard dont les connexions pourraient conduire à l'écroulement d'autres et par suite, initier la dynamique de l'effondrement bancaire cumulatif. L'appréciation de ce risque est des plus incertaines, mais au moins on peut en dire qualitativement qu'il croît très dangereusement. Si, comme c'est en fait probable, s'ajoutait au défaut grec une dynamique de contagion qui conduirait à terme bref à des défauts irlandais puis portugais, etc, alors, à la vérité, il ne serait même pas nécessaire d'aller jusqu'au défaut technique de ces pays pour que la situation devienne inextricable.

 

À l'image de ce qui s'est passé pour le système bancaire américain à l'automne 2008, la configuration présente de multiples crises souveraines locales est donc sur le point de bifurquer en crise souveraine globale, et le rapprochement avec l'automne de 2008 n'est pas controuvé.

Nous nous retrouverions à nouveau dans une situation identique de matérialisation d'un risque systémique géant. Vous avez d'ailleurs observé peut-être que les États-Unis qui observaient jusqu'ici d'un œil un peu distrait l'agitation européenne commence à prendre un peu peur. Et effectivement ils n'ont pas tort.

 

Situation identique à celle de 2008, mais à trois différences près.

Premièrement, en lieu et place des dérivés de crédits hypothécaires privés, nous avons affaire à des titres souverains.

Deuxièmement, selon l'extension de la contagion, les encours exposés à des dévaluations massives pourraient être très supérieurs, et par conséquent les pertes bancaires potentielles.

Troisièmement enfin, en 2008, les banques avaient été sauvées par les pouvoirs publics , mais cette fois-ci les Etats seront aux abonnés absents, et pour cause, ce qui n’épuise pas pour autant le champ des pouvoirs publics. En effet reste la Banque Centrale. De ce point de vue, Trichet n'a pas complètement tort, enfin on peut au moins comprendre sa logique. Car à partir d'une restructuration grecque naît la possibilité d'une divergence bancaire géante qui ré-écroulerait tout le système. Et en effet, la BCE se retrouverait absolument seule en première ligne pour ramasser le tout à la pelle et au petit balais. Là où Trichet a tort, cependant, c'est en imaginant qu'il existe une solution alternative qui lui permettrait d'y couper. Car la seule alternative actuellement présente, en tout cas dans le débat européen officiel, c'est la reconduction du même en pire, et selon une séquence tout à fait baroque qui enchaîne sous nos yeux un premier plan de sauvetage, adjoint d'un premier plan de rigueur, qui est en train d'échouer -c'est ce dont nous faisons le constat à l'heure actuelle -, échec qui appelle un deuxième plan de sauvetage qui va s'accompagner d'un deuxième plan de rigueur, approfondissant la logique du premier. Tout ça est une d'une impeccable logique etc. etc.

 

Donc tout ça peut durer longtemps comme cela. Alors, en fait non, ça ne peut pas durer longtemps comme ça... Et c'est pourquoi à supposer qu'un deuxième paquet grec soit finalisé d'ici la fin du mois de juin, le problème se reposera immanquablement et à l'identique à échéance de 18 mois maximum et en fait pas seulement pour les Grecs.

 

Que se passera-t-il lorsque nous serons parvenus au bout de cette route ? Eh bien dans une situation d'exception radicale, rendent absolument impérieuse une action décisive, la question stratégique sera de savoir qui est capable de faire quoi. Au moment où le système bancaire s'écroule alors que les Etats sont financièrement incapables, il n'appartient plus qu'à la Banque Centrale non seulement d'assurer des soutiens vitaux de liquidités, comme elle l'a fait en 2008, mais également de se substituer aux Etats défaillants pour conduire la restructuration des bilans bancaires, à savoir épurer les pertes et recapitaliser.

 

Au bout du chemin il n'y a donc plus qu'une seule solution disponible et c'est celle de la création monétaire massive. La BCE sous influence allemande y est-elle prête ? Il semble assez évident que poser la question c'est y répondre. Et cette réponse se matérialisera sous la forme d'une fracture de la zone Euro. Fracture entre d'une part un premier bloc sous influence allemande qui voudra se désolidariser des surendettés, affirmer sa capacité à servir régulièrement sa propre dette, c'est-à-dire reconduire la pleine et entière acceptation du jeu des financements des déficits par les marchés, donc de la normalisation des politiques économiques par les marchés. En d'autres termes, redire sa convergence de vue fondamentale avec le capital financier international en matière de politique économique.

Et d'autre part un second bloc qui pourra se découvrir un intérêt commun à entrer dans une logique radicalement opposée. A savoir:

  • Premièrement, répudiation intégrale de la dette publique.

  • Deuxièmement, nationalisation flash du secteur bancaire ruiné et ceci par saisie.

  • Troisièmement, création monétaire massive pour d'une part recapitaliser les banques et d'autre part garantir les dépôts à vue et les épargnes évidemment à hauteur d'un certain plafond.

  • Quatrièmement, démantèlement des activités d'Investment Banking et neutralisation réglementaire brutale des marchés de capitaux.

  • Enfin, et provisoirement, cinquièmement, ré-organisation du financement des déficits sur une base mixte combinant concours monétaire de la Banque Centrale et mobilisation des épargnes résidentes.

 

Alors c'est là un programme suffisamment tranché pour qu'il soit assez clair que tout le monde n'est pas prêts à y rentrer.

Qui y adhérera ? C'est une question toute empirique, qui recevra sa réponse en situation. Rien ne permet d'exclure à priori qu'une pluralité d'ex-Etats membres se reconnaissent dans ce programme, car de puissants intérêts communs à la rupture sont déjà constitués. Contre la position nationale rigoriste, je dirais même intransigeante voire étriquée, il faut redire la viabilité possible et surtout l’intérêt intrinsèque d'une Union plurinationale économique, monétaire mais surtout politique, c'est-à-dire d'une Union qui se construirait cette fois sur une convergence réelle et profonde en matière d'organisation économique lato sensu, c'est-à-dire incluant le modèle de politique économique, les formes de la finance et le régime de concurrence.

 

Or en cette matière, l'Union qui naîtrait dans des circonstances aussi violentes que celles que j'ai dites, et par là aussi discriminantes, serait d'emblée assurée de cette convergence dont la profondeur et la robustesse serait attestée à l'épreuve originelle d'une crise maximale. Mais surtout une union politique, c'est-à-dire une union garantissant la plénitude du principe de souveraineté, par l'organisation adéquate des rapports économiques et internationaux, neutralisant les empiétements extérieurs et par la construction des institutions politiques adéquates garantissant l'exercice intérieur. Mais, symétriquement, contre la position internationaliste qui veut intransitivement l'union, c'est-à-dire l'union pour l'union et sans le moindre égard pour les conditions concrètes de l'union, il faut redire également la viabilité d'une solution simplement nationale et n'avoir aucune hésitation à y recourir si les autres solutions s'avèrent impraticables.

 

 

Je conclus en récapitulant.

Premièrement : l'euro est probablement mort, et dans tous les cas il est odieux.

Deuxièmement : recréer une monnaie commune dans le cadre d'une union politique réelle mais sur des bases radicalement transformées et progressistes est une solution très possible en principe. La conjoncture proche pourrait même lui donner un fameux coup de main. Non seulement cette solution est envisageable, mais j'ajoute qu'à mes yeux elle est préférable.

Pour autant, troisièmement, possible en principe, cette issue pourrait être avérée impossible en pratique. Et ce ne serait pas un drame, la solution unilatérale nationale est là. Et elle, elle est toujours praticable. Si les circonstances l'imposent, il n'y aura donc pas à hésiter.

 

 



Commentaires

  • Bonjour

    Merci de nous offrir l'ecoute et la transcription de cette intervention claire et tranchante ( j'ecoute et je lis en meme temps,meilleure capture du deroulé de sa pensee) .Ceci nous eclaire sur les rapports de force qui s opposent en ce moment et qui donne un eclairage d'ensemble sur les decision s et evenements actuels .Encore Merci de faire vivre le blog. Cordialement

  • Merci pour ce cadeau !
    J'ai vu les vidéos, mais du coup je vais réécouter en lisant la transcription, ça aide drôlement à comprendre !
    Encore merci !

  • Bonjour. c'était pour vous informer que j'ai récupéré directement sur le site du MPEP l'enregistrement sonore de la conférence. Non seulement la qualité sonore est bien meilleure que sur le son de la vidéo, mais en plus j'ai fait un découpage avec les prises de parole des autres présents : jacques sapir, Jacques Nikonoff, Emmanuel Todd, plus le débat qui a suivi les prises de paroles. Ca vous intéresse ?

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