Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Ceux qui rament et ceux qui tiennent le fouet

Suite de "Pourquoi le silence sur J'ai dû"...

Tant pis, je dis les choses dans le désordre.... Après tout, cela fait neuf ans que je me tais et que j'essaie de faire parler les autres.... 230 interviews... Pour une fois, je cause.... Après tout, même sur Mediapart où officient de vrais journalistes, il y a une rubrique "Parti-pris".... alors tant pis, je cause... et dans le désordre donc...

Pourquoi plus d'interviews? Parce qu'il n'y a plus rien à dire! Que tout est là sous nos yeux... Parce que 10 ans plus tard, jour pour jour ou presque, je pourrais réécrire la lettre ouverte à François Hollande publiée en (petite) partie dans Marianne en 2000 et qui est là in extenso. je pourrais développer chaque  argument utilisé... rien n'a changé sauf que c'est pire....

 

A ceux qui ont tué l'espoir.

 Je n'ai d'autre légitimité pour écrire que celle d'appartenir à la génération dont vous déplorez l'absence d'engagement dans les partis politiques, vous, Monsieur Hollande dont les propos étaient repris dans Le Monde du 5-6 mars, et plus généralement vous, hommes de gauche de la génération de 68 et de celle qui l'a précédée. Légitimité bien légère ? Non. Légitimité de la colère, de l'atonie subie, de l'impuissance impatiente.

 Vous avez tué ou laissé tuer l'espoir de tout progrès social.

 Vous nous avez laissés, nous qui sommes devenus adultes sous Mitterrand, sans capacités à décrypter le monde . Revenus du communisme ou du maoïsme, vous avez jeté aux orties toute velléité de proposer une grille de lecture possible, tout désir même de penser le monde, d'en décrypter, d'en dénoncer les rapports de force tant vous redoutiez d'être accusés d'archaïsme si vous parliez de « lutte des classes » ou de tout ce qui pouvait y ressembler. Les libéraux ou plutôt les ultra-libéraux se sont engouffrés dans la brèche : vous aviez cédé le terrain, comme si la chute du Mur de Berlin rendait caduque l'idée de penser le monde « à gauche ».

 Nés dans les années 60-70, nous avons frémi -enfants encore- sous le coup des chocs pétroliers, puis nous avons baissé la tête devant la politique de rigueur que l'on nous disait nécessaire, puis nous l'avons baissée encore plus bas devant le chômage, vague déferlante dont nous ne voyions pas la fin. Il fallait se taire, courber le dos, attendre que cela passe -sans espoir que cela passe-, avec l'espérance peut-être d 'en sortir vivant.

 Puis ce furent les grands mythes entretenus par des médias où vous brilliez par votre absence : le hochet de la lutte anti-raciste que vous nous proposiez ne cachait déjà pas votre criminelle absence de propositions réelles, de réflexions profondes pour une organisation de la société au service du citoyen et non de l'économie. Ces mythes, vous les avez laissés s'installer, s'enraciner, nous engluer - parfois même vous les cautionniez... Ce furent ceux de la mondialisation vue comme un état de fait sur lequel les hommes n'auraient ni influence ni prises, ceux de la nécessaire dérégulation qui ne bénéficie, sous couvert de liberté, qu'aux puissants capables d'imposer leurs lois non-écrites, d'autres encore, petits mythes ravageurs que l'on voit chaque mois fleurir dans les médias . Vous avez permis qu'on nous installe dans un monde tragique, gouverné par les dieux tout-puissants de l'économie à la volonté desquels nous ne pouvons échapper. Face à eux, nous sommes pauvres petits héros de la vie quotidienne nous débattant sous le regard insensible et peut-être un peu amusé de ces nouveaux dieux. Vous avez laissé s'installer la fatalité, c'est-à-dire la fausse conscience que l'ordre des choses ne peut être autre, qu'il n'est pas d'alternatives possibles. Pauvres galériens attachés à notre banc de souffrance, nous avons fini par croire nous-mêmes qu'il ne fallait pas se révolter, qu'il fallait continuer de ramer sans réclamer notre pain, de peur de faire chavirer notre galère-entreprise sous l'effet de notre révolte, sans même que nous réalisions que , dans cette galère, se trouvent ceux qui rament, mais aussi ceux qui tiennent le fouet, battent le tambour, et qui souvent banquètent.

 La société se dichotomise chaque jour plus, et vous ne criez toujours pas. Vous regardez la société sombrer, sans même sembler avoir conscience que sonnent les clairons de ceux qui se font les hérauts d'une société que, en d'autres temps, vous auriez réprouvée, sans même que vous sembliez entendre les vivats qui célèbrent la preuve de votre défaite, votre impuissance à proposer une autre organisation de notre société. Peut-être dans vos retraites dorées de vieux ex-révolutionnaires n'entendez-vous pas la sourde et impuissante révolte de ceux dont vous auriez pu être les guides.

 S'engager en politique auprès de vous ? Pour soutenir quelles idées, quelles propositions, quelle vision de la société qui soit radicalement différente de celle que l'on nous impose ? Il n'est pas d'organisation sociale sans rapports de force : où se situent-ils d'après vous ? De quel côté êtes-vous ?

 Vous ne pouvez déplorer le manque d'engagement d'une génération et ne pas reconnaître que vous êtes responsables de la fin de l'espoir social, c'est-à-dire de la fin de la capacité à se concevoir non comme des individus isolés, mais comme des membres de groupes sociaux susceptibles de faire entendre leur voix, d'entrer en lutte, de peser sur les choix. Le concept d' « individu » , et la notion de liberté qu'on lui attache à tort quand on le fait de façon systématique, est une grande force aux mains des néo-libéraux. Donnez-nous des raisons de nous fédérer, non seulement dans la protestation -Seattle a montré que nous en étions capables-, mais dans l'espoir.

Pascale Fourier -  29 Mars 2000

 

Commentaires

  • Pascale,

    Je pense comprendre ta déception, ta désillusion, ta frustration.
    Personnellement, je suis convaincu que "la-gauche", incarnée par le PS, a trahi tous les idéaux qu’elle représentait. De Mitterrand à Besson, l’histoire est longue de ceux qui se sont servi de l’espoir de proposer un autre monde pour arriver à leurs fins et assouvir leur ambition personnelle.

    Je suis d’accord avec toi qu’il n’y a plus rien à dire. Tout a été dit. Il faut agir. Comment ? Là est la question, et chacun doit trouver sa réponse.
    Faudra-t-il une crise extrêmement violente pour que les choses bougent ?

  • Très heureux de vous lire à nouveau. Je suis certain que vous avez une efficacité... les esprits se réveillent et votre travail n'est pas vain. Vous avez participé à la prise de conscience de nombreux citoyens. L’accès à une information différente est crucial. Bien sûr la traduction politique est encore balbutiante mais à droite comme à gauche, on voit du nouveau (Parti de gauche, DLR…). Inéluctablement nous nous approchons d’un profond changement. On peut espérer que des politiques lucides portent ce changement mais il ne me semble pas délirant de penser que ce changement vienne de la rue.il y aurait alors malheureusement davantage de risques de dérapages et de violences.

  • Chère Pascale,

    C'est étonnant çà, après avoir moi aussi beaucoup envoyé, pétitionné, expliqué, débattu, argumenté, relayer Pascale Fourier, Daniel Mermet, Lordon, Bensaïd, Chomsky, etc, etc, moi aussi depuis quelques temps je n'ai plus la gnaque... L'air du temps peut être, qui ne sent pas très bon.... on dirait l'oeil du cyclone, tu as remarqué ?

    D'un côté il y a çà :

    « Il y a une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène cette guerre, et nous sommes en train de la gagner ».

    Warren Buffett (l’homme le plus riche du monde)

    Et d'un autre côté il y a çà aussi :

    "La révolution ne parait jamais plus improbable, que la veille du jour ou elle éclate !"

    Rosa Luxembourg

    Et peut être un petit peu des deux... En tout cas, on a l'impression que le temps retient son souffle. Wait and see. Beaucoup de gens sont aussi dans cet état d'âme. Le temps n'est plus aux explications car beaucoup de gens ont bien compris d'où venait leur malheur. L'époque est maintenant particulière, atypique, quelque chose murie et il me semble que les arrogants ne devraient pas déjà crier victoire...

    Personnellement je ne crois plus depuis longtemps aux élections et aux avancées démocratiques par les urnes, surtout dans l'Europe d'aujourd'hui (même si j'ai adhéré au Parti de Gauche, dès la première heure, pour encourager cette option, au cas ou je me tromperai et que les urnes servent aujourd'hui quand même à quelque chose).
    L'histoire nous montre que les avancées significatives viennent de la rue... Malheureusement, car ce n'est jamais sans dégâts. Mais l'homme n'a pas encore démontré qu'il savait évoluer différemment et ceux qui s'empiffre aujourd'hui ne lâcheront pas leur gamelle comme çà, sans confrontation. Malheureusement...

    Quant à ton travail de 10 ans, je suis la preuve vivante (et mes enfants aussi) qu'il a été et qu'il est encore utile.

    Je t'embrasse.

    Luc

    PS : Si tu veux lâcher un peu quelques temps, tu n'as pas a te justifier auprès de nous, car après tout, c'est plutôt nous qui te sommes redevables et non le contraire.

  • Pascale,
    pour relayer le commentaire précédent de Luc, c'est vrai que cet abattement des plus "gnaqueux" n'est pas bien rassurant. Et c'est d'ailleurs là que je prends la mesure de ce que c'est que d'entrer en résistance face à un courant idéologique : on peut y laisser des plumes.

    Que des gens comme toi jettent l'éponge interroge forcément l'armée des résistants silencieux, qui portent modestement leur action à l'échelle individuelle, sans avoir le courage de passer au collectif. Dit autrement, à partir de quand l'individu considère-t-il qu'il peut et se doit de faire changer le monde, et quelles formes peut prendre sa contestation pour porter ses fruits à l'échelle de la société ?

    J'ai pas les réponses, j'en suis là de la prise de conscience, et ton travail est pour moi un précieux support à ce réveil... alors sans doute profite-t-il à d'autre. Si tu t'arrêtes, il me reste à te dire merci ; sinon , benh peut-être : continue !

    À bientôt ?

  • Bonjour Pascale,
    Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ? Pas aujourd'hui. La Grèce est en grève générale, l'Espagne à 18% de chômeur, le casse du siècle sur les retraites se prépare, le fantoche va bientôt recevoir un nouvel avion aux frais de l'état, des usines ferment chaque semaine. Si à l'ouest, il n'y a rien de nouveau et à l'est moins encore : au nord et au sud, des débuts de réponses à nos maux s'ébauchent peut être. Les pays scandinaves sont toujours en avance socialement, sur la "patrie des droits de l'homme". La flex-sécurité du travail a un véritable contenu contrairement à l'hexagone qui n'a fait qu'expurger le peu d'avancées sociales qui restaient dans le code du travail. Dans certains pays du continent africain (la cote d'ivoire) des entraides, des soutiens se re-créent, à la base, entre citoyens.
    Pour quelles raisons ne pourraient ont pas le transposer en France ? L'individualisme forcené ? Des expériences vécues malheureuses avec des voisins de palier ou des collègues de travail, n'incitent pas à ce type de démarche. Après tout, pourquoi se faire chi.. à agir collectif alors que tout seul on est presque peinard ? Mort aux cons après tout. Les gens sont ils tous des cons ? Certainement pas. Alors agir, certainement, en gardant à l'esprit que c'est pour une certaine fraction des gens. Celle pour laquelle on a une considération, une attentive et lucide bienveillance. Si d'autres en profitent ; ce sera co-latéral (mot à la mode). Nous pouvons agir à notre échelon personnel et pourquoi pas à celui de notre travail, en repensant l'organisation des relations professionnelles dans le mode des scop (société coopérative de production). Tiens en voilà un sujet intéressant ! Les tickets restaurants est la plus représentative. Allez micro, cassettes, MP3, téléphone, rendez vous et en avant (Guigan) !
    Faut pas mollir même si les discours sirupeux de Hollande ou d'Aubry sont vides de contenus et d'espoir. Courage et si tu as besoin d'un coup de main, fait le savoir. Nous pouvons agir et contribuer nous aussi.
    Un ex-auditeur de "des sous et des hommes".

  • Merci à tous de vos commentaires ! Ca fait toujours chaud au coeur de voir qu'il y a des gens de"l'autre côté de l'ordi" !

    "L'oeil du cyclone"?? Oui, j'y crois ! Et faudrait pas nous chatouiller trop longtemps... Je crois que c'est chez RST ou à partir du blog de RST que j'ai trouvé une intervention de Mélenchon que je vais m'empresser de reprendre!!...

    A suivre...
    Excusez-moi de mon peu de réactions aux commentaires: je suis une piètre blogueuse... Mon vrai boulot + le temps passé à m'informer, et la vie, la vraie vie: je vais d'ailleurs de ce pas partager l'apéro avec des amis...

    Bises à tous,

    Pascale

Les commentaires sont fermés.