Souad, un lecteur de ce blog, me fait la grâce de me demander, devant mon silence, où je suis...
Bah, là, chez moi, un peu tétanisée par la montée de Marine Le Pen ( et je m'en expliquerai dans des billets à venir...) , et puis la vie , quoi, qui ne passe pas que par le Net...
Mais une des réponses à la question est là... Les circonstances m'ont amenée à accepter d'aller au camp d'Auschwittz pour accompagner un groupe. Je n'étais pas enthousiaste ( doux euphémisme) - il faut dire que quand j'avais 9 ans,on nous a emmenés en sortie scolaire, tous, en rang d'oignons pour traverser ma petite ville jusqu'à la salle des fêtes... :là, Nuit et Brouillard, d'Alain Resnais... Mais bon, pour Auschwitz,je devais en très très bonne compagnie, avec deux autres accompagnateurs que j'estime au plus haut point....
Nathalie, une des accopmpagnateurs, m'avait dit : "Tu sais, on dilue, on dilue, pour que ça ne soit pas trop pesant...Visite, de Cracovie, et puis d'une mine de sel, pas loin ". Moi: " Une mine??? Ca me dit quelque chose.... Il n'y a pas eu de déportés??". Nathalie: "Non non, elle est exploitée depuis des centaines d'années, pas de souci !!".
Et puis là, j'ai fait du tri.... Ca fait deux-trois ans que je me dis qu'il faudrait que je peaufine le montage que j'avais fait d'une interview fabuleuse de Serge Czarny et Charles Baron... Deux "copains", comme ils disent, de déportation.... de 16 à 19 ans dans les camps...ensemble ou séparés, se retrouvant, s'espérant... Moi, je suis polie, décente, ce que vous voudrez, mais quand Charles Baron nous a reçus chez lui, je n'ai pas mis mon mini-disc en marche tout de suite, je voulais expliquer la démarche, me présenter... et c'est là, dans les cinq premières minutes que Charles m'a dit l'essentiel, qu'il avait survécu grâce à Serge, grâce à l'amitié de Serge, pas forcément par une aide matérielle, mais par l'idée que Serge, son "copain" du même âge, était là, serai là: la pensée que cet ami était là, quelque part, retrouvé, perdu, retrouvé, l'avait tenu.... Mais mon micro n'était pas branché, et l'intensité de ces paroles, seule, je peux m"en souvenir...
C'est donc cette interview que j'ai reprise, ayant monté la partie 1, la plus claire, et ayant laissé en jachère la partie 2, plus difficile à monter, plus confuse dans les sons.. mais j'avais pris des notes, brèves, sur lesquelles j'étais tombée...
Et là, à une heure et 13 minutes : ..."Vielidchka= mine- 10.000 juifs =} la Cathédrale...
Ce n'était pas Vielidchka, mais Wieliczka...Mais moi, la sans-mémoire, je n'avais pas rêvé...on m'avait bien raconté le fait que des juifs avaient travaillé, dans une mine de sel, qu'ils y étaient morts.. et là, rien, quand j'y suis allée, rien!! Aucune allusion, aucun panneau qui notifie la chose? Dans cette "Cathédrale" que j'avais vraiment admirée, où se célèbrent des mariages, paraît-il, rien !! Rien qui témoigne, qui permette de se souvenir??? 10.000 personnes mortes de faim et d'épuisement là...
Récemment,on a repassé à la télévision le film de Tavernier que j'aime tant, La Vie et rien d'autre ,où un officier, en 1920, ne se lasse de faire le décompte des morts, de leur donner un nom, une dépouille à enterrer dignement... 10.000, cela fait 16 à 17 collèges actuels moyens.... 333 classes de 30 élèves, de 30 individualités.. Etn rien ! pas un mot...
Je vous laisse écouter Charles Baron qui en parle ! Il avait plus de 80 ans quand je l'ai rencontré... L'équivalent de 333 classes comme celle que j'accompagnais sont mortes là... et rien !
Je m'inquiète de ce que bientôt les derniers déportés mourront....et que les lieux, les livres ne peuvent pas rendre compte de l'horreur...seul le son, l'émotion qui passe au travers de la voix, peut rendre compte.... Comme Birkenau est vide, vide de tout, désormais, sans ces anciens qui ne peuvent plus nous accompagner....
Souvent, les déportés ne témoignent plus que devant les enfants, pour transmettre...peut-être à tort, parce qu'ils n'ont pas la somme de connaissances qu'un adulte a assimilées et qui lui fait comprendre un silence, une brisure dans la voix... Des élèves de mon groupe se sont assis sur le petit mur encadrant la descente vers le "déshabilloir" d'une chambre à gaz d'Auschwitz... Je n'ai rien dit... : ils ne pouvaient pas savoir, et je ne pouvais pas leur dire la somme d'images que j'ai dans la tête par le récit des déportés, par Shoah, notamment....
Aussi, je me permets de vous indiquer une rencontre qui m'a été signalée par les Amis du Monde Diplo... Si je pouvais, j'y serais, !
La mémoire. Pourquoi ? « Personne ne m’aurait cru, Alors je me suis tu. »
Samedi 30 avril 2011 à l’Hôtel de ville de Versailles, à 17h, salle Clément Ader, nous rencontrerons Sam BRAUN, pour témoigner de son incarcération au camp de concentration d’Auschwitz autour de l’ouvrage : « Personne ne m’aurait cru, Alors je me suis tu » Ed. Albin Michel.
Sam BRAUN a été arrêté en France en novembre 1943 avec plusieurs membres de sa famille parce qu’il était juif. Il est alors âgé de seize ans. Conduit à Drancy, le camp d’internement de la région parisienne, le 7 décembre 1943 il part en train pour Auschwitz par le convoi n°64. Sa petite sœur, son père et sa mère ne sont pas revenus. Lorsqu’il rentre en France, sur un brancard, dans un avion sanitaire de l’armée française début juillet 1945 au Bourget, il n’y a personne pour accueillir ces déportés. Un vide incroyable. « Dans l’autobus, nous avons traversé Paris. J’avais l’impression que les gens nous regardaient sans nous voir. J’avais cette étrange impression que notre présence les gênait, un peu comme si nous avions été des accusateurs de ce qu’ils avaient laissé faire. On est toujours responsable de ce qu’on n’a pas empêché. Ainsi, l’accueil en France me donnait le sentiment que si j’avais pu parler, personne ne m’aurait cru, alors je me suis tu. » Il restera quarante années dans le silence d’Auschwitz.
Témoigner.
« (…) la mémoire historienne ne peut ignorer, à côté des documents objectifs, l’expérience irremplaçable des témoins de ceux qui ont vécu les événements. (…) » Jean-Pierre Vernant.
Et puis un jour, sollicité par une amie « Mon devoir m’est apparu alors clairement : je devais utiliser cet événement horrible pour essayer de rendre service aux jeunes générations, en leur permettant d’ouvrir les yeux sur le monde et la folie de certains hommes. Dans ce seul but, et dans celui-ci uniquement car je ne voulais pas que ma vie concentrationnaire devienne une exhibition, j’ai accepté d’aller témoigner. (…) » Un témoignage en tant que victime d’un génocide solidaire de toutes les victimes de tous les génocides de l’histoire. C’est un projet éthique de sensibilisation. Un témoignage lié au monde actuel, aux événements contemporains, à la vie des hommes d’aujourd’hui. Evoquer surtout le « vivre ensemble » que nous devons enseigner aux jeunes, la possibilité d’une communauté humaine fraternelle dont la notion même semble inaccessible et improbable à certains. Montrer que les êtres humains quelles que soient leur culture et leur origine, peuvent vivre en harmonie les uns avec les autres et s’accepter mutuellement. Mais l’évolution de ce témoignage se complique actuellement, à l’analyse du monde environnant. Le contexte dans lequel nous vivons change. L’homme est redevenu fou. Actuellement, l’humanité en laquelle je fonde tous mes espoirs, car l’homme est perfectible, a le hoquet et piétine. Elle semble même parfois régresser. La haine resurgit, prenant comme prétexte des préceptes faussement interprétés d’un dieu supposé. Les folies des nazis, formatés pour le meurtre et indifférents à la gravité de leurs actes, ont fait école et sont toujours possibles puisque certains s’en réclament encore. Mais témoigner, lorsqu’on est des rescapés du pire enfer c’est dire qu’il ne faut jamais rester indifférent devant les injustices commises par certains hommes et garder la foi en l’avenir des hommes. Ce qui m’importe, c’est l’utilité de mes propos. Dire que « les bourreaux que nous avons connus étaient des hommes ordinaires, ils n’étaient pas des fous, même s’ils ont commis les plus impardonnables folies. Ils étaient des êtres ordinaires comme je le suis, comme nous le sommes tous, et, à ce titre, nous pouvons tous, dans certaines circonstances, devenir des bourreaux si nous refusons de nous remettre en permanence en question. (…) La barbarie n’est pas l’apanage de l’autre. (…) J’essaie aussi de m’interroger sur ce passage décisif, sur ce basculement qui peut faire un bourreau d’un homme ordinaire. Il faut en permanence travailler sur soi pour éviter cette dérive. »
Commentaires
Salut Pascale,
J’ai visité la mine de Wieliczka en 1989. La Pologne était alors encore communiste. J’avais trouvé le lieu magnifique avec toutes ces sculptures en sel. J’ai même un petit bloc de sel qui trône fièrement sur une étagère. J’ignorais totalement le fait que des juifs étaient morts dans cette mine. Que dire de plus ?
Sur le témoignage de BRAUN (je l’écouterai plus tard au calme) cette phrase est terrible tellement elle est juste : « On est toujours responsable de ce qu’on n’a pas empêché. »
Salut Pascale
"il faut dire que quand j'avais 9 ans,on nous a emmenés en sortie scolaire, tous, en rang d'oignons pour traverser ma petite ville jusqu'à la salle des fêtes... :là, Nuit et Brouillard, d'Alain Resnais"
Pareil, ou peu s'en faut
-le ciné-club d'un lycée pourri- ...
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