Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Christophe Guilluy: utiliser le mot "populisme" pour décrédibiliser le diagnostic de ceux "d'en bas".

C'est un article que j'avais vu dans le Marianne du 1° au 7 Juin, mais je n'arrivais pas à le partager avec vous. Au cas où vous n'auriez pas pu acheter Marianne de cette semaine-là, le voici  ( grâce à l'aide de Mouarf).

"Se poser la question du « populisme », obsédante aujourd'hui dans le débat public, c'est déjà tomber dans le piège de la mise à distance des classes popu­laires. Cet a priori récurrent permet de délégitimer leur discours. En effet, l'approche de la crise par le « populisme » vise à décrédibili­ser les réactions des classes populaires et, in fine, à occulter les causes du rejet des classes dirigeantes. Cette rhétorique vise à écarter la responsabilité des partis de droite et de gauche depuis une tren­taine d'années. Il s'agit, en fait, de rendre illégitime la contestation des choix éco­nomiques et sociétaux effectués par les organisations ayant exercé le pouvoir, quelles que soient leurs étiquettes.


Si la mise en avant du « populisme » s'est généralisée parmi les élites, c'est parce qu'elle permet d'imposer un dia­gnostic « par le haut », en décrédibili­sant le diagnostic « par le bas », celui des classes populaires. Or, contrairement à ce que l'on croit, le diagnostic rationnel, objectif, est celui des classes populaires, car ce sont elles qui vivent au quoti­dien, depuis trente ans, les effets de la mondialisation (stagnation ou déflation salariale, précarisation, chômage, fin de l'ascension sociale) et de son corollaire lié à llmmigration (aléas de la cohabitation, quartiers difficiles, problèmes de loge­ment, déshérence de l'école, instabilité démographique...).


A la limite, on pourrait inverser le propos et dire que le « populisme » est le code de conduite des classes dirigeantes, car elles mentent sciemment aux classes populaires depuis des décennies sur leur projet néolibéral.


Ainsi, contrairement à ce que l'on écrit et dit un peu partout, le diagnostic « par le bas » (désigné comme « populiste ») n'est pas le fruit d'un emportement irré­fléchi, d'une radicalisation irrationnelle ou dTune protestation superficielle. Il s'agit bel et bien d'une analyse objective des retombées de choix économiques et sociétaux précis.


Pourtant, à l'exception de quelques intellectuels, comme le philosophe Vin­cent Coussedière, auteur d'un livre inti­tulé Eloge du populisme, le problème est toujours abordé dans un sens péjoratif ou avec un regard condescendant. Certes, depuis le retour des « classes populaires » dans le débat public, la prudence est de mise. On ne dénonce plus le « beauf raciste et fasciste ». La stigmatisation du peuple « à la papa » a laissé place à une stigma­tisation plus light.


Des classes exclues et oubliées


Aujourd'hui, on joue plutôt à la vigie antifasciste sur le mode de « l'histoire qui bégaie s ou de « la peur des années 30 ». C'est plus subtil. Après chaque élection, on adroit à la sempiternelle analyse sur le faible niveau scolaire des électeurs du FN, qui seraient peu éduqués, presque débiles et donc aptes à la manipulation. On sug­gère également que le populisme séduit des vieux {donc gâteux et limite débiles) qui ne comprennent rien au monde et se replient sur eux-mêmes.


Le problème, c'est que l'électorat du FN est surtout composé d'actifs et de jeunes, alors qu'il est sous-représenté chez les plus de 60 ans. Jusqu'à présent, le vieillis­sement de la population est en réalité l'un des remparts les plus efficaces contre cette prétendue montée du « populisme ».


Pour bien appréhender le phénomène, il faut l'inscrire dans le temps long. Il est en effet la conséquence d'une mise à l'écart économique, sociale, culturelle, mais aussi géographique, d'une majorité des nouvelles classes populaires (ouvriers, employés, paysans, jeunes et retraités de ces catégories). Celles-ci ne font plus partie du projet des classes dirigeantes. Elles sont de fait exclues, oubliées, rejetées. D'où l'abstention et le vote FN, impossible à comprendre sans prise en compte de cette donnée structurelle.


Dans ces conditions, le sempiternel débat sur les stratégies électorales du FN est vain. Si l'on n'agit pas sur les raisons qui conduisent à la montée de Marine Le Pen, il ne sert à rien de crier au loup. Le FN existe parce que des électeurs votent pour ce parti, et pas l'inverse. Les gens qui font ce choix ne sont ni débiles ni mani­pulés. Ils font des analyses rationnelles de leur vécu, et en tirent des conséquences contestables, certes, mais qui s'expliquent. Et ils le font d'autant plus que Marine Le Pen a su adapter son discours à la socio­logie de ses électeurs.


Le « populisme » pose ainsi un problème de fond à l'ensemble de la classe politique. Il tend à faire disparaître la fracture arti­ficielle entre la gauche et la droite, pour laisser poindre un affrontement entre les classes dominantes (qu'elles soient de droite ou de gauche) et les classes popu­laires. Il contraint les classes dirigeantes à ouvrir les yeux sur l'émergence de nou­velles classes populaires et d'une forme de contre-société.
"

Les commentaires sont fermés.