... et cela lui donne incontestablement des responsabilités, dont celle d'assurer des jours paisaibles aux vieux travailleurs!
On est la 5° puissance mondiale, et il n'y aurait pas d'argent pour assurer une retraite digne aux salariés????
Je vous remets ci-dessous l'interview-pépite de Des Sous ... et des Hommes. C'était en Mars 2005. Maurice Kriegel-Valrimont, ancien Grand Résistant, co-signataire de l'appel à la commémoration du 60° anniversaire du Programme National de la Résistance ( PNR) m'avait fait l'honneur, à 91 ans, de me recevoir. Rien de ce qu'il avait dit alors n'a perdu de son actualité:
La transcription est en -dessous !
Quand des Résistants nous transmettent le flambeau...3/4
Avec Maurice Kriegel-Valrimont, Grand Résistant, Commandant national des forces françaises de l’intérieur en 1944.
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Pascale Fourier : Alors je vous rappelle le contexte de la série d’émissions que je vous propose avec des grands résistants. En mars 2004, ils avaient signé, à un certain nombre, une petite dizaine, un appel à la commémoration du 60eme anniversaire du Programme National de la Résistance qui avait été signé le 15 mars 1944 et qui avait amené toute les avancées sociales de la sortie de la guerre, à la Libération.
Et après Raymond Aubrac, après Philippe Dechartre qu’on a pu entendre les deux semaines précédentes, je suis allée voir Maurice Kriegel-Valrimont. Maurice Kriegel-Valrimont, en 1944, était commandant national des Forces Françaises de l’Intérieur et a reçu avec le Général Leclerc et Henri Rol-Tanguy la reddition de Von Choltitz à la libération de Paris. C'est un grand résistant, communiste, au départ en tout les cas, puisque après il a eu quelques petits problèmes avec le PC.... Un grand bonhomme, plein de vie! Il a 90 ans, et je crois que nul mieux que lui ne sait, ne saura nous donner l’espoir! Je vous propose donc d’entendre l’enregistrement que j’ai fait chez lui, avec lui.
Donc la première question que je voudrais vous poser, c’est pourquoi avoir signé cet appel à la commémoration du Programme National de la Résistance ?
Maurice Kriegel-Valrimont : La raison est toute simple, elle est en quelque sorte double.
Le programme du Conseil National de la Résistance, en 44, 45 et même 46, a reçu dans un certain nombre de domaines, et en particulier en matière de sécurité sociale, de retraites, de législation scolaire, d’organisation des grands services publics nationalisés et sur un certain nombre d’autres points très importants, des mesures d’application réelle. Ce programme n’est pas resté un programme. Il est devenu un élément de la vie nationale. Et sur ce plan, cet aspect des choses reste dans la vie sociale de la France. La sécurité sociale est un élément constitutif des rapports sociaux français. Or de la façon la plus évidente la Sécurité Sociale est fille de la Résistance. Toute contestation sur ce point est une sottise.
Alors cela est d’autant plus important à l’heure actuelle qu’un certain nombre de ce qui a été réalisé dans les années de l’immédiate après-guerre est actuellement en voie de suppression. Toute une série des mesures qui ont été acquises à ce moment sont mises en question. Il est donc d’une actualité évidente pour les gens qui ont été dans une certaine mesure les artisans de cette transformation de la vie française, qu'ils sont évidemment concernés par la mise en cause de ce à quoi ils ont participé à l’époque.
Pascale Fourier : Mais certains pourraient vous dire : « Oui, mais il n’y a plus de sous dans les caisses de l’Etat. C’est une nécessité de sabrer la sécurité sociale, les retraites etc! « .
Maurice Kriegel-Valrimont : C’est effectivement ce que l’on dit. Seulement ce que l’on dit est d’une inexactitude hurlante si j’ose dire. Pour une raison qui tombe sous le sens et on est surpris que les gens osent le formuler de cette façon. Pour qui a connu 1944, la situation de 1944, qu’est- ce- que c’est? La plupart des ponts en France sont cassés. Les communications sont très difficiles. Les chemins de fer sont dans une situation extrêmement difficile, compliquée et à refaire. Du charbon il n’y en a guère. De l’énergie il n’y en a presque pas. Prenons ce dernier exemple: si vous comparez l’énergie disponible en 1944 et en 2005, non seulement c’est infiniment plus, c’est un énorme multiple, il n’y a littéralement pas de comparaison possible! L’énergie disponible aujourd’hui par rapport à ce qui est le lendemain de la guerre, c’est des dizaines de fois de plus d’énergie disponible! Ca veut dire que les moyens dont le pays dispose sont infiniment plus importants!
Or ce qui est vrai, c’est que, quand nous avons institué la Sécurité Sociale et toute une série d’autres mesures, il y en a qui nous ont dit : « Vous êtes fous! Le pays est dans une situation lamentable! Tout est à refaire, et pour commencer vous imposez là-dessus un élément supplémentaire de charge!! ». Heureusement que nous étions des très jeunes gens et nous avons bousculé ce genre d’objections!
Qu’est-ce que l’Histoire a prouvé ? L’histoire a prouvé que si on est arrivé aux Trente Glorieuses comme on dit, il est évident que la législation sociale de l’époque a été un élément de stimulation de la machine économique. En d’autres termes, et c’est une chose non discutable historiquement, l’investissement social est un investissement économique formidable ! Non seulement ce n’est pas un frein comme ils le prétendent, c’est le contraire: c’est un accélérateur du développement économique!!. Il n’est pas concevable, - les progrès que l’économie a fait pour arriver entre la fin de la guerre et les 30 glorieuses à la situation que nous avons connue, n’auraient pas été possible sans une législation sociale avancée! C’est vraiment d’une évidence totale. Le monde entier a considéré que la législation sanitaire et sociale de France était la meilleure du monde. Cela n’était pas contesté pendant un grand nombre d’années. Or c’est dans ce cadre que la France a repris une position économique assez remarquable. Donc l’argument tombe de lui-même.
Pascale Fourier : Certains pourraient dire : « Dans le contexte actuel, avec l’Europe, la mondialisation, la compétitivité toujours demandée, on ne peut pas garder des régimes de Sécurité Sociale, de retraites, puisque ça empêche les travailleurs français d’être compétitifs »...
Maurice Kriegel-Valrimont : Dans ce domaine, nous tombons sur le débat de l’organisation actuelle du monde. Si vous vous laissez entraîner sur le terrain des aspects purement techniques, purement économiques, qui sont le type des débats qu’ont les spécialistes entre eux, tous les arguments sont possibles, et leur contraire est tout aussi valable.
Mais où est le vrai débat ? En France, vous avez un élément qui est à peu près clair: dans le cadre de tout ce qui se passe, vous avez un changement de la distribution du revenu national et ce changement est éclatant, il est au détriment des salariés! Ceci n’est à peu près pas contestable. Ca veut dire que, à partir du moment où vous acceptez comme la logique des rapports internationaux, ce que certains appellent le «libéralisme» et que la réalité oblige d’appeler « la loi du profit de l’argent » ou encore plus clairement « la loi du fric », - si vous admettez la loi du fric, il est clair qu’à la limite c’est celui qui est le plus astucieux, y compris pour voler le fric, qui a raison! Se soumettre à cette loi, c’est se soumettre à ce qu’ils appellent les « lois dernières des rapports économiques ». Mais qui est-ce qui a dit que il fallait s’y soumettre ?? ! C’est vrai qu’il y a eu un américano-chinois qui à un moment donné a affirmé à la face du monde que l’Histoire était terminée. C’est d’une telle exagération ! C’est d’une telle sollicitation des faits que, y compris les gens qui sont de cet avis n’osent plus le dire!! Ca veut dire que la réalité finit toujours par trouver son chemin dans l’examen réel des problèmes.
Sur ce plan, la première constatation est que les rapports sociaux dans le monde ne sont pas apaisés. C’est que nous ne nageons pas dans une espèce de paradis où les lois du marché conduisent à une amélioration permanente des choses. Le contraire est vrai. Sur une série de plans, les menaces qui pèsent sur le monde et sur les hommes, le rétrécissement de la planète, son altération, un certain nombre de fléaux qui sont d’une évidence absolue, le fait qu’il est établi que avec un certain nombre de mesures ont pourrait réduire de façon considérable ce qu’on appelle la pauvreté dans le monde, et sur une série de sujets l’incroyable distorsion entre les possibilités d’intervenir et le refus de mettre les moyens en place pour y parvenir montrent que, quand la seule règle est celle du profit, et même du profit immédiat, cela va à l’encontre de l’intérêt commun.
Ca veut dire que, si au lieu de se laisser entraîner dans des débats soi- disant techniques, soi- disant d’application, soi-disant de spécialistes, on examine la réalité des problèmes dans leur ensemble - et dans ce domaine dès qu’on les aborde.... prenez l’exemple du sida, prenez l’exemple des industries pharmaceutiques en général -, il est parfaitement évident qu’il y a d’un côté les règles qu’imposerait l’intérêt commun, l’intérêt général, et d’autre part des intérêts particuliers qui empêchent que les bonnes solutions soient mises en œuvre.
C’est vrai pour des sujets encore plus angoissants. L’altération du climat du monde: il est actuellement exposé à la loi d’intérêts particuliers... C’est proprement scandaleux ! Or il n’est pas établi que cela doive être la règle qui triomphe. Et toute une série de signe montre qu’une proportion relativement de plus en plus importante de gens sont conscients de ces problèmes et veulent que le débat ait lieu pour savoir ce qu’il faut faire.
Pascale Fourier : Vous dites à un moment justement qu' il faut que le débat ait lieu. Mais on a l’impression, nous les simples citoyens, que toute décision politique nous échappe notamment parce qu’un certain nombre de décisions ont été transférés soit à l’Europe, soit au niveau de l’OMC. Alors que peut en penser un résistant qui a aussi lutté pour la défense de la démocratie, la capacité de choisir un destin collectif pour la nation ?
Maurice Kriegel-Valrimont : C’est probablement le débat majeur de notre temps! Il est vrai que d’une part le monde dans lequel nous vivons est d’une certaine manière issu du résultat de la seconde guerre mondiale. Mais il est vrai aussi que, par ailleurs, il change de façon très rapide et très sensible, que le monde dans lequel nous sommes aujourd’hui n’est plus le même,qu’il y a toute une série de choses qui sont en complète transformation et dans les conditions qui sont celles du fonctionnement actuel des choses.
Mais si vous prenez un recul historique suffisant, si vous examinez les périodes dans lesquelles il y a eu une amélioration dans la vie de la société prise dans son ensemble, - et en France, l’histoire est pour l’essentiel connue: le passage de l’Ancien Régime au régime républicain; un certain nombre de grands événements sociaux comme la reconnaissance des syndicats, comme ce qui s’est passé en 1936, comme ce qui s’est passé à la Libération, comme ce qui s’est, dans une autre mesure, passé en 68 et dans une série d’événements qui sont le mouvement social. Quand ce mouvement social, qui en France est réel, à un certain moment devient une force évidente, quand il rencontre un mouvement politique qui contribue à exprimer les besoins sociaux du moment, il arrive des résultats qui constituent un indiscutable progrès. Comment discuter du fait que la France est mieux avec un système de Sécurité Sociale que si elle en est dépourvue ! Comment discuter du fait que, encore avant la dernière guerre mondiale, des gens qui avaient travaillé toute leur vie et qui n’avaient pas de retraites étaient en situation de mourir de faim littéralement! Et qu’il vaut mieux, même s’il est ce qu’il est, un système de retraite institué comme après la deuxième guerre mondiale! Vous avez des démonstrations qui sont des évidences!
Or quelle est la caractéristique de tout ce qu’on peut appeler des progrès dans les rapports des hommes et des femmes, - et les femmes sont concernées puisque depuis des siècles elles sont en situation maintenue d’infériorité. Qu’est-ce qui permet d’obtenir des résultats ? Qu’est-ce qui assure la réalisation de perspectives, d’espoir qui ne sont pas déçus ? Eh bien, la chose est d’une parfaite évidence! Quand les problèmes sont soustraits au débat et à l’examen, quand ils deviennent des techniques de gouvernement et qu' on oppose ce qu’on appelle « la rue » à des décisions soi-disant majoritaires, mais camouflés dans des endroits qui ne sont pas accessibles à la volonté générale, eh bien, on fait ce que l’on veut, mais ce qui n’est pas conforme à l’intérêt commun.
Or la seule correction efficace à ce phénomène, c’est le fonctionnement démocratique, c’est la participation réelle des gens concernés aux problèmes qui les concernent. Et dans ce cas, vous avez une possibilité: il faut deux choses . Il faut la réalité du mouvement social. Comment ne pas considérer comme évident que, en 1936, les lois sociales ont été le résultat direct de l’énorme mouvement avec occupation des usines en 1936, c'est-à-dire le plus grand mouvement de grève que la France ait connu à cette époque depuis des dizaines et des dizaines d’années? Comment douter du fait qu’au lendemain de la Libération avec la présence des syndicats aux sein du Conseil National de la Résistance - et un phénomène qui malheureusement n’a pas été maintenu, dans la plupart des grandes entreprises et dans un grand nombre de petites : la totalité des gens étaient syndiqués - en tout cas leur participation à la vie de l’entreprise s’exprimait dans l’adhésion pratiquement unanime aux organisation syndicales. ... Rendez-vous compte de la différence quand vous avez maintenant moins de 10% des salariés qui sont syndiqués, c’est effectivement une faiblesse énorme du mouvement social! Ceci n’est qu’un exemple, mais ça veut dire que la réalité du fonctionnement démocratique détermine pour une part décisive les résultats que l’on obtient.
Donc l’objectif immédiat doit être de rétablir le fonctionnement démocratique réel, que ce soit en matière d’élections politiques, que ce soit en matière de fonctionnement des organisations sociales, que ce soit dans le domaine associatif en général. C’est totalement décisif ! Et de ce point de vue-là, ben, on ne peut pas fixerde dates.... Dans l’Histoire sociale et dans l’Histoire politique, la prétention au prophétisme est toujours un peu puérile.... Donc les dates ne sont pas disponibles... Mais la réalité du phénomène, en ce qui me concerne, pour les avoir vécu un certain nombre de fois, ça ne fait aucun doute! Ce qui s’est produit comme conséquence d’un certain nombre de données se produira encore! Et dans le monde, il existe des signes nombreux qui montrent que les gens ne sont pas disposés à laisser faire indéfiniment ce qui va à l’encontre de leurs intérêts évidents.
Pascale Fourier : Pour vous, quel est le cadre dans lequel doit s’exprimer, justement, cette souveraineté populaire, cette capacité de chacun des citoyens à s’exprimer ?
Maurice Kriegel-Valrimont : Sur ce plan je passe le relais... Je vais avoir très rapidement 91 ans, ce n’est pas à moi de le dire... J’ai le droit d’avoir une opinion la dessus, mais cela dépend des gens qui vont faire la suite. En 1944, nous avions 30 ans, et nous avons fait ce qu’il y avait à faire. Y compris sur le plan que vous évoquez. Maintenant, c’est à ceux qui ont 30 ans de le faire. Et non seulement je ne prétends pas leur dicter ce qu’ils ont à faire, d’une certaine manière je me l’interdit parce que c’est à eux que ça appartient. En ce qui me concerne je n’ai pas de doutes au sujet du fait qu’ils trouveront les solutions adéquates. Il faut se rappeler que quelques semaines avant le déclenchement des événements de 68, celui qui était à l’époque le meilleur observateur de la politique française, Viasson-Ponté, disait explicitement : « Il se passe rien, il se passe rien, il peut rien se passer ». Et quelques semaines après, vous aviez l’énorme phénomène de 68. Donc il faut se méfier des prévisions un peu trop hâtives...
En ce qui me concerne ma seule crainte est d’autre physiologique. Je n’ai pas, en ce qui me concerne, la garantie sur ce plan de voir les prochaines étapes dans leur déroulement. Je le regrette vivement et je serais très intéressé par cela. Mais ce que je pense, c’est que dans ce domaine, une fois que les questions deviennent celle d’un grand nombre de gens, - et ça commence à être le cas- , les solutions finissent par se dégager.
Alors si j’ose dire et là je m’adresse à tous ceux qui ont ces âges-là : A eux de jouer!