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Dany-Robert Dufour- transcription: Le libéralisme est un totalitarisme d'un genre nouveau

Certes, je manque de rapidité.... Mais en période d'élection présidentielle, je crains fort qu'il n'était pas de saison de mettre en ligne la transcription de la 3° partie de l'interview que j'avais faite avec Dany-Robert Dufour, philosophe et auteur de L'individu qui vient...après le libéralisme.

Mais elle est là ! Bien sûr, il conviendrait de relire la transcription de la partie2, même si j'essaie de synthétiser dans le début de cette transcription ce qui a été dit, parce que la partie 3 forme un dyptique avec la partie 2 ( et que la partie 1 d'ailleurs enrichie encore le propos en la lisant après les parties 2 et 3...)

Elle est donc là en PDF  ( en word là : http://jaidulouperunepisode.org/Interviews.htm + le son) et ci-dessous en html

 

Partie 3/3

 

L'époque post-moderne : vers un totalitarisme d'un genre nouveau? 

Pascale Fourier :

Je vous synthétise les épisodes qui précèdent ? C’est simple, ou presque. L’époque moderne, qui va du 18ème siècle à 1980 environ, a vu la remise en cause des deux discours qui structuraient la pensée occidentale depuis deux millénaires : le récit du logos, venu de Grèce, qui incitait à la maîtrise des passions, et le discours venu de Jérusalem, poussant à la limitation de l’amour de soi.

Pendant deux siècles va alors s’engager une lutte entre les Lumières anglaises, le libéralisme, dont le maître-mot est : « Fais ce que tu veux, ce sera bon pour tout le monde, quoi qu’il en soit » et les lumières allemandes qui, elles, préservent la régulation morale.

 

On en était là avec Dany-Robert Dufour dans l’explicitation de cette lutte inachevée. Et alors, et alors ? Je piétinais ! La postmodernité dont il m’avait promis de me parler dès la première partie, j’attendais ! Alors, je le lui ai dit.

Troisième, et dernière partie donc, de l’entretien avec Dany-Robert Dufour.


 

 

La postmodernité...

 

Dany-Robert Dufour:

Mon champ, c’est effectivement, vous avez raison, celui de la réflexion sur la postmodernité. La postmodernité, c’est un concept philosophique qui a été inventé par Jean-François Lyotard, philosophe, qui a sorti en 1979 un livre qui s’appelle La condition postmoderne. Et pour aller vite, il définit la condition postmoderne comme la chute, la fin de tous les grands récits : les récits de l’antiquité, grecque et latine, c'est-à-dire le logos, le monothéisme, et les récits modernes qui sont ceux des Lumières, allemandes pour l’essentiel, à savoir le récit de l’émancipation, disons, de l’autonomie de pensée - c’est Kant, de l’ « Oser penser par soi-même » -, le récit de l’émancipation collective par Marx et les autres récits socialistes et anarchistes, et le récit de l’émancipation personnelle, disons par le freudisme.

 Et il dit donc, en 1979, que tous ces grands récits sont morts, ou en voie de disparition. Il y a encore des gens qui y croient, mais ils ne sont plus, disons, ce qui est au cœur du social, ce qui informe le social. Donc il parle de la chute des grands récits. Moi, j’ai beaucoup travaillé sur cette période parce que j’ai été très rapidement d’accord avec cette remarque de Lyotard, donc 1979, et le fait que, comme je vous le disais, arrive six mois plus tard en 1980 l’installation d’un ultralibéralisme mondial, avec autre chose qui se met en place, qui oublie complètement le souci de l’autre pour ne mettre en place que le souci de soi. Et ce souci de soi - c’est aussi le souci de l’enrichissement personnel - me semble bien correspondre à cette époque postmoderne.

Alors, je suis donc complètement d’accord avec Lyotard pour dire que c’est la chute des grands récits, les grands récits passés ; mais, en même temps, je me suis permis de rajouter quelque chose à Lyotard, pas pour faire mon petit malin, mais pour ajouter quelque chose qu’il n’avait pas pu voir encore en 1979, qui était que certes, c’est la chute des anciens grands récits, mais c’est la mise en place d’un nouveau grand récit, d’un récit d’un nouveau type, qui est le récit de l’exclusif souci de soi, un exclusif amour de soi.

 Donc, nous passons, au fond, des religions anciennes si vous voulez, religions politiques, religions monothéistes, religions religieuses etc., à une sorte de nouvelle religion qui est la religion du marché comme le cadre général dans lequel on doit pouvoir penser tous les affaires humaines. C’est exactement ça qu’on entend par « postmodernité », donc du moins, moi ce que j’entends. J’entends ce qu’entend Lyotard, et je rajoute un mot en plus : c’est la chute de tous ces grands récits, mais en même temps que c’est la chute, c’est l’émergence d’un nouveau type de grand récit, tout nouveau type de grand récit qui nous déconcerte beaucoup parce que, à la différence de tous les autres, il ne met plus l’accent sur le rapport à l’autre, mais uniquement sur l’amour de soi.

 

La victoire du libéralisme anglais sur le libéralisme allemand

 

Voilà, c’est ça que j’appelle l’époque postmoderne. Donc on pourrait dire que c’est l’époque du triomphe absolu du libéralisme anglais qui a vaincu définitivement, donc, le libéralisme allemand. J’emploie parfois, pour opposer ces deux figures du libéralisme anglais et du transcendantalisme allemand, l’image des deux chiens de faïence. Vous savez, vous avez une cheminée et vous posez deux chiens de faïence : ces deux chiens de faïence sur la cheminée moderne, c’est le libéralisme anglais et le transcendantalisme allemand. Mais il y en a un qui tombe au bout d’un certain temps, il se casse et il n’y a plus que le libéralisme anglais : c’est l’entrée dans la période postmoderne avec toute la culture postmoderne !

 Avec toute la culture postmoderne... donc avec l’idée qu’il faut révolutionner constamment les mœurs jusqu’à l’idée que « je peux absolument dire et faire ce que je veux », c'est-à-dire l’idée, au fond, de « je peux jouir de ce que je veux ». Je ne suis pas du tout quelqu’un qui est un rabat- joie au niveau de la jouissance, je trouve ça très beau quand ça mobilise l’autre aussi, la jouissance ! Mais quand c’est la jouissance uniquement de soi, je trouve que ce sont des jouissances à deux sous, et nous sommes dans une époque de jouissances à deux balles. Donc, c’est ça, le sujet postmoderne : c’est celui qui est lancé dans des jouissances à deux balles dans lesquelles il va se dire qu’il fait ce qu’il veut, et il ne sait pas qu’il est en train de casser le lien social et d’amener l’humanité vers une sorte de butée.

 

Pascale Fourier :

A un moment, vous avez dit que « les autres grands récits n’étaient pas forcément morts chez chacun d’entre nous et vous avez dit « mais ils n’informent plus le social ». J’ai l’impression qu’il y a des résistances dans… j’allais dire dans le peuple ?...

 

Dany-Robert Dufour:

Dieu merci, il y a des résistances, oui, oui, bien sûr. On a affaire à une imposition d’une sorte de modèle par les industries culturelles, mais les récits, les anciens récits de solidarité, de souci de l’autre, de rapports de considération, de respect de l’autre, de redistribution, etc., continuent toujours d’être vivants dans le peuple, Dieu merci ! Le jour où ça sera mort, on sera foutus, on sera complètement foutus. Peut-être que les industries culturelles auront réussi un jour à éradiquer tout ceci, et qu’il n’y aura plus que quelques fous qui se promènent en disant qu’il faut aussi se soucier de son voisin, peut-être qu'on en viendra là, mais pour l’instant, Dieu merci, on n’en est pas là.

 

Créer un homme nouveau?

 

Pascale Fourier :

Est-ce qu’on en est au point, quand même, éventuellement de, je ne sais pas s’il faudrait dire « volonté délibérée », mais en tous les cas d’une volonté de création d’un homme nouveau ?

Dany-Robert Dufour:

Oui. On est au point de création d’un homme qui est un homme acritique, surtout qui ne pense pas, parce que penser ça fait mal, ça fait mal à la tête, ça oblige à interférer sur le libre-cours de ses passions et ses pulsions, donc ce n’est pas bon. Il faut laisser aller ses passions et ses pulsions, donc il ne faut pas penser. J’avais créé une formule à cet égard un jour, j’avais dit « Faut pas penser, faut dépenser ».

 Eh oui, eh bien c’est ça, il faut dépenser parce qu’on remplace le sujet critique, sujet qui pense, donc qui interpose quelque chose dans le cours automatique de ses passions et ses pulsions, et on le remplace par un sujet consommateur, donc qui consent. C’est bon pour le marché, un sujet consommateur, « Je ne me soucie pas j’achète, un portable, ceci, ceci, ça, cela, etc. etc. ». Et le marché est le plus grand incitateur dans cette configuration-là, parce que le marché est celui qui, à tout moment, va proposer au sujet de la postmodernité en quête de ses jouissances à deux balles un objet manufacturé, censé calmer ses appétences - un service marchand, marchand évidemment, qui va donc répondre à tout ce qu’il veut -, et des fantasmes culturels produits par les industries culturelles. Donc le marché dit : « Ne vous occupez pas, je pourvois à tout, je pourvois à tout ». Si bien que nous sommes rentrés, donc, passés d’un sujet critique à un sujet acritique, c'est-à-dire à un sujet consommateur.

 Avant, dans les anciennes formes, il y avait des formes qui étaient des formes de pouvoir un peu centrales, un peu oppressantes, un peu oppressives, avec un pouvoir qui voulait, qui exigeait, souvent à tort, souvent pour des raisons… etc., mais bon, qui voulait quand même quelque chose. Maintenant, la seule chose qu’il faut, c’est acheter : c’est bon pour le PIB français, mondial, et tout ce que vous voulez.

Donc le marché est devenu une sorte de dealer, de grand dealer. Le dealer, ce n’est pas lui qui vous opprime, le dealer ! Le dealer, il vous donne de quoi vous opprimer tout seul. Il vous donne la drogue dont vous allez devenir esclave, dont vous allez devenir dépendante, addict. Eh bien, le marché c’est pareil : il vous donne les produits qui vous servent à vous opprimer eux-mêmes, toujours, parce qu’il faut toujours un autre produit, il faut toujours plus, il faut toujours autre chose, etc. C’est bon pour le marché, ça produit du PIB, ça comble vos appétences, donc c’est bon pour vous, c’est bon pour tout le monde.

 Donc, vous voyez, ça produit un nouveau sujet, un homme nouveau, comme vous disiez, légèrement psychotisant, parce qu’il n’a plus en tête des interdits. Alors évidemment, c’est emmerdant d’avoir en tête des interdits, parce que si les grands récits disaient auparavant « tu ne dois pas », vous savez, les catalogues des religions : « Tu ne dois pas tuer, mentir, etc. etc., convoiter », tout ça. Evidemment, vous levouliez quand même, mais il y a une interdiction qui vous empêche, donc vous le refoulez dans votre inconscient, et puis ça ressort d’autre façon. C’est qu’on appelle, donc, le retour du refoulé, c’est refoulé, mais ça ressort. Bon. Ça fait des sujets névrotiques.

 Mais ça, ça fait des sujets plus... j’allais dire, plus gravement atteints, puisque ça fait des sujets psychotisants : ils peuvent tout, ils veulent tout, ils passent d’un truc à l’autre, d’un investissement à l’autre, rien n’est fixé. Ce sont des sujets flexibles, des sujets nomades, ceux dont on parlait tout à l’heure.

 Et ce n’est pas un hasard si Deleuze, à un moment donné, a vu quelque chose venir, puisqu'en 1972, il a sorti L’Anti-Œdipe, l'anti-Oedipe, donc celui qui était sorti, justement, des filiations, et qui était le sujet nomade, le sujet flexible, qui n’obéissait qu’à son fonctionnement pulsionnel. Il a vu quelque chose arriver. Le seul problème, c’est qu’il s’est enthousiasmé pour ça, au lieu de le critiquer ! Mais il a vu quand même quelque chose arriver : c’était son travail de philosophe, il a absolument vu les chosesarriver.

 Maintenant notre travail de philosophe, quarante ans après, c'est de dire: « Bon, il a vu quelque chose venir, mais maintenant c’est à nous de fournir la partie critique par rapport à ce qui est en train d’arriver, à ce qu’il a vu venir, lui ». Ce qu’il a vu venir, c’est un sujet psychotisant; pour lui, le sujet idéal pour lui, c’était le sujet « schizoïde », comme il disait, « schizo » - un éloge du « schizo » chez Deleuze.

 Alors évidemment, si vous remplacez des névrosés par des schizophrènes, eh bien vous obtenez un peu quelque chose comme ce que le marché est en train de produire, c'est-à-dire un sujet psychotisant, acritique, et souvent addicté, parfois un peu pervers, qui cherche à instrumentaliser l’autre. Et quand il n’arrive pas à être bien addicté ou être bien pervers, alors il déprime et il est dépressif...

 

Le libéralisme, un totalitarisme d'un genre nouveau

 

Pascale Fourier :

Est-ce qu’on peut dire que le libéralisme est un totalitarisme ?

 Dany-Robert Dufour:

On peut le dire. Et on peut le dire, en ajoutant que c’est le troisième totalitarisme que connaît l’Occident, la société occidentale, en un siècle.

 Le premier, c’étaient les fascismes, et le pire, le plus virulent de tous, le nazisme ; le second, c’étaient les stalinismes, c'est-à-dire les communismes réels, ceux qui ont réellement existé ; et le troisième, c’est le libéralisme, mais c’est un totalitarisme d’un nouveau type.

 Alors pourquoi ? Parce qu'il se trouve que, dans les deux premiers totalitarismes, c’est l’individu qui est réprimé. Il est réprimé au nom de la race aryenne par exemple, dont il doit chanter la grandeur. Il doit donc écouter la voix du führer qui est comme la voix de cette race aryenne et s’identifier donc à cette race aryenne en faisant table rase de tout ce qui, dans l’individu, pourrait discuter, contrevenir à ceci, pourrait même avancer que lui aussi a ses propres revendications : devenir moins bête, devenir… je ne sais pas, enfin, tout ce qui fait l’épanouissement de l’individu. Donc c’est au nom de la race supérieure que l’individu doit se taire.

 Dans les stalinismes, c’est au niveau de la classe inférieure : il faut que l’individu se taise parce que « Il faut laisser venir les lendemains qui chantent, donc en attendant tais-toi ».

 Le libéralisme, c’est un autre totalitarisme. Totalitarisme, déjà, parce que comme j’ai essayé de vous l’expliquer, il diffuse non pas simplement dans une économie, comme vous l’avez très bien remarqué, dans l’économie économique pour dire vite, mais dans toutes les économies humaines : économie politique, économie psychique, économie symbolique, économie discursive, économie écologique. Il diffuse partout. Donc il y a un côté total ! total ! Il y a un côté total qui, lui aussi, réprime tout ce qui peut apparaître comme un « Oser penser par soi-même » dans l’individu, puisque c’est l’individu, comme j’ai essayé de le dire tout à l’heure, c’est l’individu critique, l’individu des Lumières allemandes, qui ose penser et agir par lui-même, qui se trouve devoir être rabattu au profit de l’individu pulsionnel, au profit de ses pulsions. Donc il ne faut plus penser, il faut laisser faire le fonctionnement pulsionnel.

 Et comme je vous l’ai dit, ce n’est pas un pouvoir qui vous oblige, comme le stalinisme ou comme le nazisme qui vous met dans des camps, ce n’est pas ça. Il fonctionne d’une façon différente, mais c’est un totalitarisme quand même, parce qu’il vous donne tout ce qui permet de vous addicter vous-même pour ne pas atteindre ce niveau de réalisation personnelle. Il vous donne tous les objets qui vous permettent de vous aliéner.

 Donc c’est un totalitarisme, mais un totalitarisme d’un tout nouveau type. C’est un totalitarisme sans tyran, on va dire. Ce n’est pas pour ça que c’est soft, parce que ça peut être très dur. Quand vous vous aliénez vous-même, avec l’aide donc de cette instance-là, vous êtes, n’empêche, aliéné complètement. Et même, vous êtes peut-être plus aliéné que vous pouviez l’être dans par exemple le stalinisme, puisque dans le stalinisme, il pouvait y avoir un double- langage: « Bon, ils m’obligent à aller défiler en criant les slogans qui sont les slogans à la gloire du Petit Père des Peuples, etc., mais je n’en pense pas moins : je suis toujours, pour moi-même - je ne le dis pas ou seulement avec mes copains - je suis toujours critique ».

 Dans le libéralisme il n’y a plus de double-langage, il n’y a plus qu’un langage : la consommation à outrance, la réalisation pulsionnelle et passionnelle totale. Donc il n’y a même plus de double-langage. C'est donc un totalitarisme d’un nouveau type qui est aussi tyrannique, mais sans tyran, que les anciens totalitarismes.

 

Pascale Fourier : Et qui oblige ceux qui ne se plient pas à ne pas se sentir conformes ? On est non- conformes ?

 Dany-Robert Dufour:

Oui. Si vous ne vous pliez pas, vous êtes bizarre, vous êtes un peu fou, vous êtes…, vous n’êtes pas dans le coup, vous êtes un vieux con, vous n’êtes plus dans l’air du temps, vous n’avez rien compris à ce qui se passe, vous n’êtes pas branché, vous n’êtes pas constamment nomade, donc vous êtes dépassé, vous êtes vieux jeu, vous êtes un vieux réac, vous êtes…voilà, tout ça.

 Donc, on stigmatise celui qui n’obéit pas à cette injonction de réalisation pulsionnelle par le jeu de la consommation à outrance, qui se présente comme la seule chose qui peut sauver les sociétés puisque ça fait augmenter le PIB, sans s’apercevoir que ceci produit des effets qui sont des effets à long terme sur l’exploitation à outrance et les déséquilibres de la nature, des forces productives.

 Pascale Fourier :

Et comment on s’en sort ? Parce que je pense quand même que je ne suis pas très singulière en étant particulièrement « has been » : je pense qu’on est nombreux…

 Dany-Robert Dufour:

Oui.

 Pascale Fourier :

Michea parle d’ailleurs de « common decency » à ce propos…

 Dany-Robert Dufour:

Oui, exactement.

 Pascale Fourier :

qui est en faitune espèce de bon sens commun qui fait que eh bien, oui, on n’a pas les choses sans effort par exemple… Mais comment on s’en sort ? Parce que finalement, peut-être bien qu’on est majoritaires dans les faits, finalement, alors que toute une sphère, qui passe par les médias pour l’aspect sociétal, on pourrait dire, et politique, droite et gauche, prône l'inverse… Comment peut-on inverser cecourant puisqu’on est, d’un certain côté, je pense quand même, majoritaires ?

 Dany-Robert Dufour:

Oui, moi aussi je pense qu’on est majoritaires. Ça apparaît d’ailleurs par effraction, par exemple à l’occasion du référendum sur Maastricht - il fallait suivre la bonne voie-et on voit où ça mène maintenant... La généralisation de l’euro avec des économies si différentes, c’est une catastrophe. On avait intuitivement raison de dire non, et à un certain moment, ça s’exprime, comme ça.

 Eh bien, je crois qu’il y a deux solutions. C'est-à-dire que tous ces petits actes de résistance individuels qui tendraient à nous stigmatiser, il faut les multiplier, il faut les échanger entre nous par tous les moyens possibles : par des blogs, par des radios, par des bouquins, par… il faut diffuser tout ça au maximum. Dans cette mesure-là, par exemple, l’existence de blogs est une excellente chose parce que ça se fonde avec rien, avec deux sous, alors que la presse est absolument muselée et contrôlée. Donc, tout ce qui développe cet esprit de résistance individuelle dans tous les domaines, dans le fait de dire qu’il faut continuer à aimer La Princesse de Clèves, qu’il faut continuer à la lire, qu’il faut continuer à penser, qu’il faut continuer à résister, qu’il faut détourner des usages dominants, etc., tout ceci doit être développé par chacun et popularisé, généralisé au maximum par tous les moyens actuels de popularisation et de généralisation.

 Et puis je pense qu’on arrivera un jour à une expression politique, parce que ceci n’aura aucune chance de réussir s’il n’y a pas une expression politique un jour. Je pense que tout ça trouvera une forme politique. Il faut déjà réfléchir à une forme politique, complètement nouvelle. Je veux dire, ça ne peut être ni les anciens stalinismes, ni la gauche libérale, ni ceci. Alors là, c’est tout à réinventer là-dedans. Ça peut ne pas être nécessairement un parti, mais plusieurs partis qui s’entendent, qui vont dans des sens un peu différents. Mais il va falloir respecter des formes de divergences d’avis, de discussion permanente, parce que la discussion permanente est évidemment toujours très très riche : il faut des avis différents. Mais, je pense qu’on n’échappera pas à l’idée d’aller vers la constitution d’une force politique.

 Pascale Fourier :

Et voilà, c’était la troisième partie de l’entretien réalisé avec Dany-Robert Dufour, troisième partie qui, je l’espère, ne peut que vous donner envie de reprendre l’entretien depuis son début pour en sentir toute la profondeur.

 Je ne peux que vous inviter à lire à votre tour L'individu qui vient ... après le libéralisme, publié récemment chez Denoël, mais aussi sa trilogie précédente, L’Art de réduire les têtes, Le Divin Marché et La Cité perverse.

 Bientôt, je recevrai François Flahault, philosophe, animateur d'un séminaires d'anthropologie philosophique à l’École des hautes études en sciences sociales, auteur entre autres du Paradoxe de Robinson en 2003 et de Où est passé le bien commun ? en 2011. A bientôt !

 

 

 

Commentaires

  • Bonjour,

    Ca mérite effectivement d'y revenir tant c'est dense et foisonnant.
    J'ose néanmoins suggérer que votre dernière question est, à mon sens,
    plus achevée que la réponse qui me ferait dire entre deux sanglots,
    "... tout ça, pour ça !?!". Voilà aussi pourquoi on est bien ici.

    Merci Pascale. A bientôt.

  • @ Zeca
    Merci de votre commentaire.
    Oui, tout le problème est le lien qui ne se fait guère entre réflexion théorique et expression politique ( les partis...).
    Moi, je ne suis pas une franche optimiste: le débat doit être intellectuel, en profondeur, y compris par exemple sur le libre-échange, et l'UE et doit se faire dans les partis ou en marge de ceux-ci pour les irriguer... Or ce n'est pas ce que j'observe...C'est un peu désespérant...

    Bien à vous,

    Pascale

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