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Jacques Sapir:" l'Europe sociale", un mythe !

Décidément, ça ne va pas pour les anciens invités de Des Sous... Laurent Mauduit, de Mediapart, traîné en justice pour la longue et passionnante série d'articles concernant l'affaire Pérol-Caisses d'épargne... Gérard Filoche mis en examen !  Jacques Sapir maintenant, interviewé par un journal interne du PS et "censuré" puisque cette interview ne sera pas finalement  publiée parce que cet économiste tient des propos jugés iconoclates....

Jacques Sapir a écrit un long papier pour expliquer les tenants et les aboutissants de cette affaire. On peut trouver la version complète de ce texte sur le site ContreInfo: http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2738 

 J'en extrais la fin, ci-dessous, la partie où il explicite son positionnement sur l'Union Européenne.... C'est ce positionnement qui semble ne pas avoir plu.... raison de plus pour s'y intéresser.

EXTRAIT (les passages mis en gras et rouge l'ont été par Pascale)

On n’a pas supporté que je qualifie d’illusion ou d’hypocrisie le mythe de l’Europe « sociale » que l’on nous présente comme le saint Graal que l’on atteindra - encore un effort camarade - quand nous aurons une majorité de gauche au Parlement Européen. Que cette majorité se soit souvent montrée plus libérale que la droite, avec qui elle communie dans le culte de la concurrence « libre et non faussée », et que le groupe socialiste au Parlement Européen ne soit même pas d’accord en son sein pour savoir s’il faut garder Barroso ou le virer, est évidemment passé sous silence.

Il s’agit donc d’une illusion, je le dis et je me répète.

Il faut se réveiller.

Quelle unanimité espère-t-on réaliser entre les 27 pays de l’Union ? Les cultures, mais aussi les rythmes politiques, sont par trop différents. Et d’abord, les structures économiques et sociales sont bien trop divergentes pour que l’on puisse trouver une base d’accord commune. Le principe du « grand marché », il faut quand même le dire, propose la mise en concurrence de tout, des produits comme du travail. C’est lui qui a organisé la mise en concurrence des travailleurs. À terme, il ne laisse qu’une solution : c’est l’harmonisation par le bas, avec la garantie que les rythmes politiques seront bien trop différents pour que l’on puisse espérer un sursaut commun et simultané. Cette Europe sociale, qui est certes désirable, se révèle comme la ligne d’horizon. Elle s’enfuit dès lors que l’on s’en s’approche. Elle est inatteignable. Elle n’aura pas lieu, comme le dit si bien un livre récent [1].

Où alors, il s’agit bien d’une hypocrisie. Le ralliement à l’Europe sert à masquer le vide conceptuel et programmatique dans lequel le PS se complait et se débat. On sait très bien que réclamer plus d’Europe sociale, une harmonisation fiscale, et bien d’autres choses, n’a aucun sens dans la situation actuelle et par la voie parlementaire européenne. Mais, cela permet de jeter le voile de Noé sur l’absence de toutes proposition concrète en France même. L’Europe est devenu un alibi à l’immobilisme, et c’est cette hypocrisie-là qu’il ne faut en rien toucher, et surtout pas dénoncer.

François Mitterrand disait avoir deux ambitions, la construction de l’Europe et la justice sociale. Il a choisi la première et abandonné la seconde. Jacques Delors s’est chargé, alors, de mettre tout cela en musique. On sait ce qu’il en advint : la grande régression sociale des années 1980, et la montée inexorable vers les 3 millions de chômeurs, le tout couronné par la sanctification du « Franc fort ».

Les chiffres sont cruels.

Ils indiquent de manière indubitable que cette politique-là a bien été en France l’équivalent de celle d’un Reagan au Etats-Unis ou d’une Thatcher au Royaume-Uni. Ce fut donc bien un « socialiste », assurément fort mâtinée de chrétien, qui se chargea d’initier cette politique. Son coup fait, il partit pour Bruxelles, et laissa Bérégovoy achever le travail.

Et l’on voudrait nous faire croire aujourd’hui que l’Europe pourrait être sociale ?

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Sources : Tableaux de l’INSEE.

Ceci expliquerait alors la violence de la réaction. Et il est vrai que la fille de ce Jacques Delors est aujourd’hui à la tête de ce parti.

Tant que je ne faisais que décrire un processus qui est aujourd’hui trop évident pour être nié, c’était acceptable. Mais, que je remette en cause le fondement de la politique du PS, sans l’Europe sociale point de salut, et, tout d’un coup, la foudre se déchaîne.

Ma proposition, taxer les produits en provenance des pays à bas coûts de l’Union Européenne (et par produits, j’entends aussi ceux que l’on assemble dans des pays où les coûts sont plus élevés), et le faire unilatéralement s’il le faut pour enclencher un débat, a pour elle de nous sortir de cet immobilisme, de ces lendemains qui ne chanteront pas.

Acte III.

Je vous laisse donc libre de choisir entre l’illusion et l’hypocrisie. Quant à moi, cela fait longtemps que j’ai perdu mes illusions en ce qui concerne le PS et j’avoue ne pas avoir de réserves suffisantes de patience pour endurer son hypocrisie. Comme le disait Maurice Clavel en son temps, Messieurs les Censeurs, bonsoir !

Mais il faut cependant revenir aux choses sérieuses. La question des protections à adopter est aujourd’hui urgente. Le rapport entre les coûts du travail (eux-mêmes considérablement renforcés par la réévaluation de l’Euro) et les gains de productivité n’a fait que se détériorer à notre détriment avec cette crise. Les pressions à la baisse des salaires, baisse non plus relative mais absolue, se font jour désormais en France, comme l’atteste la note de la direction de Hertz à ses salariés. Ne croyons pas qu’il s’agisse ici d’un acte isolé. Hertz a eu la bêtise de mettre par écrit ce qui est déjà pratiqué aujourd’hui dans des dizaines d’entreprises, et ce qui le sera demain dans des centaines, voire des milliers. Et pourtant, on remarque que c’est bien grâce à ses « stabilisateurs automatiques » soit l’ensemble du système social, que l’économie française a plutôt mieux résisté à la crise que ses voisins. Pourtant, ce sont ces mêmes stabilisateurs automatiques que ce gouvernement veut remettre en cause, par petits bouts, points par points, toujours au prétexte de doper notre compétitivité.

Sur le fond, l’Europe a été le meilleur élève du libre-échange prôné par l’OMC. Ce faisant nous avons découplé la formation des profits par les entreprises des conditions du travail telles que l’on peut les avoir sur un territoire donné. Désormais, le profit se réalise de manière globale et la mise en concurrence des salariés dans un vaste marché se fait sous la forme du « moins disant, moins coûtant ». Les règles du fameux « compromis salarial » cher aux auteurs de la Théorie de la Régulation ont été mises cul par-dessus tête dans cette évolution. Il n’est pas étonnant, alors, d’apprendre que se creusent les écarts de salaires et que les 1% supérieurs des revenus salariaux accumulent une part croissante du revenu national. C’est une tendance constante dans les pays qui se sont ainsi ouverts, sans entraves ni protections, au commerce international [2].

Seul, un retour au protectionnisme peut permettre d’inverser ce mouvement. Il faut tendre à le faire en commun avec des pays qui ont le même niveau de productivité. De ce point de vue, il y a une logique à chercher des protections communes avec les pays du noyau originel de l’Europe. Mais, s’il le faut, nous ne devrions pas hésiter à décider de mesures unilatérales. Elles seraient, il n’en faut pas douter, ce que nous appelons entre nous économistes, dans le langage si particulier de notre corporation, un « optimum de second rang », ce que l’on peut traduire par un pis-aller. Cependant, elles seraient préférables à ne rien faire du tout, au prétexte toujours plus illusoire, de réaliser un jour cette fameuse « Europe sociale ».

Il est plus que probable que le choc psychologique que provoquerait de telles mesures permettrait d’ouvrir le débat et de penser, à l’échelle de 5 à 6 pays, à des protections communes et coordonnées.

Pour cela, il faut faire tomber le tabou qui pèse aujourd’hui sur de telles mesures unilatérales. Il faut pouvoir en discuter calmement et de manière raisonné, en dehors et au-delà de toute invective et de toute censure. Il faut aussi cesser de les concevoir comme une fin en soi, pour comprendre que leur statut réel serait d’être d’une part des mesures conservatoires et d’autres part des bases de départ pour des négociations devant conduire à une nouvelle Europe.

Acte IV.

Il me faut maintenant revenir sur ce que cet incident révèle quant aux pratiques du débat dans notre pays. Ce cas est navrant, mais il n’est pas isolé.

On s’en souvient, le referendum sur le Traité Constitutionnel Européen avait déjà donné lieu à pareille pratique. Frédéric Lordon et quelques autres en ont rendu compte à l’époque [3]. Pour ma part j’y suis revenu à froid dans un ouvrage [4].

On l’avait constaté à l’époque et ce constat est toujours valable : dès qu’il est question de l’Europe les principes les plus élémentaires du débat démocratique sont foulés aux pieds par ceux qu’Hubert Védrines qualifia « d’européistes ». Ils se révèlent pour ce qu’ils sont : une poignée de technocrates englués dans leurs certitudes, aveugles devant les conséquences, sourds à la colère qui monte.

Mais, aujourd’hui, cette europe-là dévoile son véritable visage. Les politiques sont de fait prises par les États. Où donc se trouve le plan de relance Européen ? Peut-on, là encore, croire un instant dans ces 1000 milliards d’Euro que l’on voudrait affecter à une hypothétique relance, et ce alors que des gouvernements, et non des moindres, ont exprimé leur opposition ?

S’il est vrai que la droite nous « enfume » dans cette campagne, on voit bien qu’elle n’est pas la seule.

C’est bien parce que l’on se rapproche de l’heure de vérité qu’une certaine parole doit être supprimée. Mais c’est bien aussi à ce moment qu’elle se trouve être d’autant plus nécessaire.


Tribune communiquée par Jacques Sapir


[1] F. Denord et A. Schwartz, L’Europe Sociale n’aura pas lieu, Raisons d’Agir, Paris, 2009.

[2] J. Bivens, « Globalization, American Wages, and Inequality », EPI Working Paper, 6 septembre 2007, Washington, DC.

[3] F. Lordon, « La procession des fulminants », sur le site acrimed

[4] J. Sapir, La Fin de L’Eurolibéralisme, Paris, Le Seuil, 2006.

Commentaires

  • les propos de jacques sapir sont salutaires. Le célèbre mot de F mitterand a l'égard des jeunes européeens ' tu as une patrie la France, un avenir l'Europe" laisse tant d'amertume car l'avenir s'obscurcit et so ncortège de désespérance ne cesse de grandir. Mais je crains que les propos de J sapir soient noyés par le vacarme médiatique et que l'européisme béat continue son triste chemin. En 1992 D Wolton avait écrit un livre intéressant qui mériterait d'être redécouvert l'Europe ou la dernière utopie démocratique. Il invitait à la mise ua rencart dela méthode monnet qui avait vécu et de prendre le temps de repnser ce projet et ne pas le laisser périr. Sapir a son tour nous invite àla réflexion et nous dit que le roi est nu , mais rien ne bouge. merci pour j'ai du louper un épisode comme aux sous et des hommes . Ilest passionnat de lire d'écouter tout le travail réalisé un peu d'air fait tant de bien. Courage et bonne route

  • Merci, Farah, pour votre mot!

    Oui, rien ne bouge. J'ai mis aujourd'hui une nouvelle note dont l'initiative, si elle était relayée, pourrait peut-être au moins permettre le débat..... Voui, mais..... faudrait que les médias soient effectivement le 4° pouvoir, et..........
    Mais pour ma part, je suis têtue! Alors je fais quand même entendre, quoi qu'il en soit, les propos des "iconoclates raisonnables"....A défaut de réussir à faire bouger les lignes, j'aurai au moins fait ce que j'avais à faire...

    Bien cordialement à vous,

    Pascale

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